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ANNÉE 1767

grand seigneur de l’Europe est un enfant de Satan, il se peut que ce malheureux l’ait fait entendre à Genève, pour se donner du crédit dans le monde et auprès des marchands ; mais, comme j’ai eu chez moi deux de ses frères, dont l’un est soldat, et dont l’autre a été mousse, il est bien impossible qu’il me soit venu dans la tête qu’un pareil polisson fût d’un sang respectable. C’est encore une autre calomnie de dire que Mme Denis et moi nous ayons mangé avec lui. Mme Denis vous demande justice. Il n’a jamais eu à Ferney d’autre table que celle du maître d’hôtel et des copistes, comme vous me l’aviez ordonné. On lui fournissait abondamment tout ce qu’il demandait ; mais on ne lui laissait prendre aucun essor dans la maison, et on se conformait en tout aux règles que vous aviez prescrites.

Ses fréquentes absences, qu’on lui reprochait, ne pouvaient être prévenues. On ne pouvait mettre un garde à la porte de sa chambre.

Dès que je sus qu’il prenait à crédit chez les marchands de Genève, je fis écrire des lettres circulaires par lesquelles on les avertissait de ne rien fournir que sur mes billets.

Dès que M. Hennin, résident à Genève, en eut fait son secrétaire, il le fit manger à sa table, selon son usage ; usage qui n’est point établi chez moi. Alors Galien vint en visite à Ferney, il mangea avec la compagnie ; mais ni Mme Denis ni moi ne nous mîmes à table ; nous mangeâmes dans ma chambre : voilà l’exacte vérité. C’est principalement chez M. Hennin qu’il a acheté des montres ornées de carats, et des bijoux. Le marchand dont je vous ai envoyé le mémoire ne lui a fourni que le nécessaire. Ne craignez point d’ailleurs qu’il soit jamais voleur de grand chemin. Il n’aura jamais le courage d’entreprendre ce métier, qu’il trouve si noble. Il est poltron comme un lézard. Il est difficile à présent de le mettre en prison. Il partit de Genève le lendemain que le résident l’eut chassé, et dit qu’il allait à Berne ordonner aux troupes de venir investir la ville. Le fond de son caractère est la folie. En voilà trop sur ce malheureux objet de vos bontés et de ma patience. Je dois, à votre exemple, l’oublier pour jamais.

J’ai pris la liberté de vous consulter sur les calomnies d’un autre misérable[1] de cette espèce, qui, dans ses mémoires, a insulté indignement les noms de Guise et de Richelieu en plus d’un endroit. Le monde fourmille de ces polissons qui s’érigent en

  1. La Beaumelle ; voyez lettre 7142.