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CORRESPONDANCE.

Maman vous aime de tout son cœur ; aussi fais-je, et toutes les puissances ou impuissances de mon âme sont à vous.

7155. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
29 janvier.

Vous m’écrivez, sans lunettes, des lettres charmantes de votre main potelée, mon cher maître ; et moi, votre cadet d’environ dix ans, je suis obligé de dicter d’une voix cassée.

Je n’aimerai jamais rends-moi guerre pour guerre[1], par la raison que la guerre est une affaire qui se traite toujours entre deux parties. L’immortel, l’admirable, l’inimitable Racine, a dit[2] :

Rendre meurtre pour meurtre, outrage pour outrage.


Pourquoi cela ? c’est que je tue votre neveu quand vous avez tué le mien ; c’est que, si vous m’avez outragé, je vous outrage. S’ils me disent pois, je leur répondrai fève, disait agréablement le correct et l’élégant Corneille. De plus, on ne va pas dire à Dieu : Rends-moi la guerre. Peut-être l’aversion vigoureuse que j’ai pour ce misérable sonnet de ce faquin d’abbé de Lavau me rend un peu difficile.

Et dessus quel endroit tombera ma censure,
Qui ne soit ridicule et tout pétri d’ennui[3] !

Tartara non metuens, non affectatus Olympum,


est un vers admirable ; je le prends pour ma devise.

Savez-vous bien que s’il y a des maroufles superstitieux dans votre pays, il y a aussi un grand nombre d’honnêtes gens d’esprit qui souscrivent à ce vers de Tartara non metuens ?

Vivez longtemps, moquez-vous du Tartara. « Que dis-tu de mon extrême-onction ? disait le Père Talon au Père Gédoyn, alors jeune jésuite. — Va, va, mon ami, continua-t-il, laisse-les dire, et bois sec. » Puis il mourut. Je mourrai bientôt, car je suis faible comme un roseau. C’est à vous à vivre, vous qui êtes fort comme un chêne. Sur ce, je vous embrasse, vous et votre Prosodie, le plus tendrement du monde.

  1. C’est le second hémistiche du onzième vers du fameux sonnet de Des Barreaux ; voyez tome XIV, page 63.
  2. Athalie, acte II, scène vii.
  3. Parodie de la fin du sonnet de Des Barreaux.