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ANNÉE 1767

chrétienne que n’en auraient pu faire quatre empereurs de suite comme Julien.

Il est certain qu’on ne peut opposer au torrent qui se déborde d’autre digue que la modération et une vie exemplaire. Pour moi, qui ai trop vécu, et qui suis près de finir une vie toujours persécutée, je me jette entre les bras de Dieu, et je mourrai également opposé à l’impiété et au fanatisme.

7176. — À M. DE CHABANON.
12 février.

Mon cher confrère, tout va bien puisque Eudoxie[1] est faite. Voilà une belle étoffe toute prête ; mais c’est un brocart de Lyon pour habiller des arlequins. Vous aurez probablement tout le temps de mettre encore des pompons à votre brocart. Il ne se présente pas un acteur supportable, pas une actrice qui soit bonne à autre chose qu’à faire des enfants. Rien dans la province qui donne la plus légère espérance.

Les Genevois se sont avisés de brûler le théâtre qu’on avait bâti dans leur ville pour les rendre plus doux et plus aimables. J’ai grand’peur qu’on n’en fasse autant à Paris. Il ne reste que cette ressource aux gens qui ont un peu de goût. L’Opéra subsistera, parce que les trois quarts de ceux qui y vont n’écoutent point. On va voir une tragédie pour être touché ; on se rend à l’Opéra par désœuvrement, et pour digérer.

Vous croyez donc, mon cher confrère, que les grands joueurs d’échecs peuvent faire de la musique pathétique, et qu’ils ne seront point échec et mat ? à la bonne heure, je m’en rapporte à vous[2]. Faites tout ce qu’il vous plaira. Je remets entre vos mains la mâchoire d’âne, les trois cents renards, la gueule du lion, le miel fait dans la gueule, les portes de Gaza, et toute cette admirable histoire.

Je suis toujours très-indigné, je vous l’avoue, de l’épigramme contre M. Dorat, que l’auteur a fait courir sous mon nom avec peu de probité. On m’a joué des tours plus cruels, et je garde le silence. Il y a encore plus de barbarie à m’attribuer un Dîner, moi qui ne me mets presque plus à table. Ce Dîner a été fait il y

  1. Tragédie de Chabanon.
  2. Ce passage fait voir que Chabanon avait proposé à Voltaire de laisser mettre l’opéra de Samson en musique par Philidor, qui passait pour le plus grand joueur d’échecs de son temps. Il paraît que cela n’eut pas de suite.