Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/536

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Concevez-vous rien de plus violent que ces paroles qui se trouvent à la page 84 : « Voici, après de mûres réflexions, le jugement que je porte de la religion chrétienne : je la trouve absurde, extravagante, injurieuse à Dieu, pernicieuse aux hommes, facilitant et même autorisant les rapines, les séductions, l’ambition, l’intérêt de ses ministres, et la révélation des secrets des familles. Je la vois comme une source intarissable de meurtres, de crimes et d’atrocités commises sous son nom. Elle me semble un flambeau de discorde, de haine, de vengeance, et un masque dont se couvre l’hypocrite pour tromper plus adroitement ceux dont la crédulité lui est utile. Enfin j’y vois le bouclier de la tyrannie contre les peuples qu’elle opprime, et la verge des bons princes quand ils ne sont point superstitieux. Avec cette idée de votre religion, outre le droit de l’abandonner, je suis dans l’obligation la plus étroite d’y renoncer et de l’avoir en horreur, de plaindre ou de mépriser ceux qui la prêchent, et de vouer à l’exécration publique ceux qui la soutiennent par leurs violences et leurs superstitions. »

Certainement les dernières Lettres provinciales ne sont pas écrites d’un style plus emporté.

Lisez la Théologie portative[1], et vous ne pourrez vous empêcher de rire, en condamnant la coupable hardiesse de l’auteur.

Lisez l’Imposture sacerdotale[2], traduite de Gordon et de Trenchard, vous y verrez le style de Démosthène.

Ces livres malheureusement inondent l’Europe ; mais quelle est la cause de cette inondation ? Il n’y en a point d’autre que les querelles théologiques, qui ont révolté tous les laïques. Il s’est fait une révolution dans l’esprit humain que rien ne peut plus arrêter : les persécutions ne pourraient qu’irriter le mal. Les auteurs de la plupart des livres dont je vous parle sont des religieux qui, ayant été persécutés dans leurs couvents, en sont sortis pour se venger sur la religion chrétienne des maux que l’indiscrétion de leurs supérieurs leur avait fait souffrir. On aurait prévenu cette révolution si on avait été sage et modéré. Les querelles des jansénistes et des molinistes ont fait plus de tort à la religion

  1. Voyez la note, tome XXVIII, page 73.
  2. De l’Imposture sacerdotale, ou Recueil de pièces sur le clergé, traduit de l’anglais (ou plutôt composé par le baron d’Holbach), 1767, petit in-12. On a quelquefois confondu ce volume avec l’ouvrage traduit de l’anglais de Trenchard et de Gordon, et refait en partie par le baron d’Holbach, intitulé Esprit du clergé ou le Christianisme primitif vengé des entreprises et des excès de nos prêtres modernes, 1767, deux volumes in-8°. (B.)