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CORRESPONDANCE

Boullongne me promet toujours, mais n’a encore rien fini, à mon très-grand regret. Vale, vale.

7183. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 février.

Mon cher ange, le dernier article de votre lettre du 12 février redouble toutes mes afflictions. Ce qui peut me consoler, c’est que Mme d’Argental n’est pas entre les mains d’un charlatan ; j’espère beaucoup d’un vrai médecin, et encore plus de la nature. Je vous demande en grâce, mon cher ange, de ne me pas laisser ignorer son état, et de vouloir bien quelquefois m’en faire écrire des nouvelles. Nous avons beaucoup de maladies dans nos cantons ; j’en ai ma bonne part. La fin de la vie est triste, le commencement doit être compté pour rien, et le milieu est presque toujours un orage.

Sirven est revenu. Celui-là pourrait dire, plus qu’un autre, combien la vie est affreuse. Sa famille mourra des coups de barre que Calas a reçus, et sa femme en est déjà morte.

Vous avez reçu, sans doute, la copie d’une lettre[1] que j’ai écrite à propos de ce Dîner. Je ne suis pas encore bien sûr que le Militaire philosophe soit de Saint-Hyacinthe ; mais les fureteurs de littérature le croient, et cela suffit pour faire penser qu’il n’était pas indigne de dîner avec le comte de Boulainvilliers.

Au reste, je n’écris jamais à Paris que dans le goût de la lettre dont je vous ai envoyé copie. Voici une petite liste[2] de la dixième partie des ouvrages qui paraissent en Hollande et à Bâle coup sur coup ; vous sentez combien il serait absurde de les imputer à un seul homme. Il est impossible que j’y aie la moindre part, moi qui ne suis occupé que du Siècle de Louis XIV, dont je vous enverrai bientôt les deux premiers volumes.

Je vous prie, mon cher ange, de me mander ce que vous pensez, et ce que le public éclairé pense, des Commentaires sur Racine[3]. On dit que Fréron y a beaucoup de part. Quel siècle que celui où un Fréron et un Boisjermain osent juger Monime, Clytemncstre, Phèdre, Roxane, et Athalie ! Je serais bien fâché de mourir sans m’être plaint vivement à vous de toutes ces abominations. Pleurer avec ce qu’on aime est la ressource des opprimés.

  1. La lettre 7175.
  2. Cette liste, qui était sans doute jointe à la lettre, est perdue ; mais elle devait contenir les ouvrages mentionnés dans la lettre 7019.
  3. Voyez tome XLIII, page 469.