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ANNÉE 1767

trop savant dans l’antiquité pour ne pas convenir que la mort de Socrate fut l’effet d’une cabale criminelle et d’un fanatisme passager, à peu près comme l’assassinat juridique commis à Toulouse contre Calas.

Songez, je vous en supplie, que les Athéniens punirent la cabale qui avait fait empoisonner Socrate, qu’ils condamnèrent à mort les principaux juges, qu’ils érigèrent à Socrate non-seulement une statue, mais un temple ; en un mot, jamais les Athéniens ne montrèrent un plus grand respect pour la philosophie, et une horreur plus violente pour les persécuteurs.

Les Romains, dont vous tenez vos lois, ont été tolérants depuis Romulus jusqu’au châtiment du centurion Marcel[1], qui, l’an 298, brisa sa baguette de commandement à la tête des troupes, et déclara qu’il ne fallait plus servir les empereurs parce qu’ils n’étaient pas chrétiens. Avant Marcel, il y eut quelques chrétiens persécutés ; mais, comme dit Origène, de loin à loin, et en très-petit nombre (Origène, l. III). Il serait très-aisé de prouver qu’ils ne furent punis que comme factieux, puisque Origène et le fougueux Tertullien moururent dans leur lit, et qu’aucun prêtre, soi-disant évêque de Rome, ne fut exécuté, non pas même saint Pierre, dont le prétendu séjour à Rome est une fable absurde[2].

Non, vous ne trouverez, pendant plus de huit cents ans, aucun homme persécuté à Rome pour ses opinions. Comment pouvez-vous dire que, s’il n’y avait pas de persécution alors, c’était parce que tout le monde était d’accord sur le culte des dieux ? Quoi ! les stoïciens et les épicuriens ne rejetaient pas hautement toute la théologie grecque et romaine ? quoi ! ces sectes nombreuses ne s’en moquaient-elles pas ouvertement ? Cicéron lui-même n’en a-t-il pas parlé avec le dernier mépris ? Lucrèce n’a-t-il pas chassé la superstition de toutes les honnêtes maisons ? ne l’a-t-il pas renvoyée à la canaille, aux femmelettes, et aux hommes faibles, qui sont au-dessous des femmelettes ?

Quel censeur, quel tribun, quel préteur, quel centumvir, ont jamais fait un procès à Lucrèce ?

La tolérance a toujours été la loi fondamentale de la république romaine, loi non gravée sur les Douze Tables, mais empreinte dans toutes les têtes et dans tous les cœurs. Cela est vrai, comme il est vrai qu’Henri IV a été assassiné par la seule intolérance.

  1. Voyez tome XVIII, page 386 ; et XXIV, 485.
  2. Voyez tome XX, page 214.