Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
546
CORRESPONDANCE

pas manqué de prévenir par cet avertissement les soupçons qui pouvaient tomber sur lui. Cependant il ne m’en dit pas un seul mot ; au contraire, il donna une copie à M. Dupuits, et le pria de ne m’en point parler. Dupuits, en effet, ne m’en parla qu’à son retour, lorsqu’il fallut éclaircir l’affaire. La Harpe ne se justifia qu’en disant qu’il n’avait donné le manuscrit que parce qu’il en courait des copies infidèles. Il en avait donc une copie fidèle, et cette copie fidèle, je ne la lui avais certainement pas donnée.

On lui demanda de qui il la tenait. Il répondit que c’était d’un jeune homme dont il ne dit pas le nom. Huit jours après, il dit que c’était d’un sculpteur qui demeurait dans sa rue.

Je ne lui ai fait aucun reproche, mais sa conscience lui en faisait beaucoup devant moi. Il ne m’a jamais parlé de cette affaire qu’en baissant les yeux, et son visage prenait un air de pâleur qui n’est pas celui de l’innocence. Son procès est instruit. Il s’en faut beaucoup que je l’aie condamné rigoureusement ; je suis trop partisan de la proportion entre les délits et les peines, et je sais qu’il faut pardonner.

Non-seulement j’ai eu le bonheur de lui rendre des services essentiels, mais je lui en rendrai toujours autant qu’il dépendra de moi. Je serrerai seulement mes papiers, si jamais Mme Denis le ramène à Ferney.

Voilà, aimable résident, l’histoire au juste. Plût à Dieu qu’il n’y eût pas de plus grande tracasserie dans le monde ! J’espère que vous verrez bientôt finir celles de Genève. Voulez-vous bien avoir la bonté de donner au porteur cette gazette de France où il est parlé des rodomontades espagnoles contre l’Inquisition ? Il y a des monstres auxquels il ne suffit pas de leur rogner les ongles, il faut leur couper la tête.

Tuus sum, et semper ero.

7194, — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 1er mars 1768.

Si j’avais pu prévoir, monsieur, qu’on vous rendît compte de ce que j’avais avancé d’après beaucoup de personnes et en particulier la dame qui est venue à Genève ces jours-ci, je me serais bien gardé de toucher cette corde à Ferney ; mais je puis vous assurer qu’avant le départ de M. de La Harpe on m’avait soutenu qu’il existait à Paris des copies du second chant ; on m’en avait même dit des vers. Si M. de La Harpe a contribué à divulguer

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.