Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/75

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noble par un jeune avocat général nommé M. Servan ? Vous en serez je crois, très-content ; je voudrais seulement que le style, en certains endroits fût un peu moins recherché ; mais le fond est excellent, et ce jeune magistrat est une bonne acquisition pour la philosophie.

J’imagine que L’ouvrage sur les courbes[1], qu’on imprime actuellement à Genève, sera bientôt fini. Dites, je vous prie, à l’imprimeur de n’en envoyer d’exemplaires à personne, avant que l’auteur n’en ait au moins un car il est désagréable que des ouvrages de science courent le monde avant que l’auteur sache au moins s’ils sont correctement imprimés. Faites-moi le plaisir de remettre cette lettre à M. de La Harpe : je lui mande d’écrire un mot d’honnêteté à M. de Boullongne, intendant des finances, auprès duquel j’aurai soin de ménager ses intérêts quand l’occasion me paraîtra favorable. Son discours a beaucoup plus de succès que celui de son concurrent ou post-concurrent Gaillard[2], qui s’est avisé de faire une note où il dit que la superstition, appuyée de l’autorité légitime, a droit de faire respecter ses oracles, et que le rebelle a toujours tort. Imaginez-vous quelle bêtise ! il n’a dit cette impertinence que pour justifier la persécution contre les philosophes ; et il résulte de son beau principe que les persécutions contre les chrétiens mêmes étaient très-justes. Ainsi il aura contre lui, par ce beau trait de plume, et dévots et anti-dévots : j’en ai dit hier mon avis en pleine Académie, et nos dévots mêmes ont trouvé que j’avais raison. On dit pourtant du bien de ce Gaillard ; mais il a des liaisons avec gens qui me sont suspects : Dis-moi qui tu hantes, etc. Ses notes n’ont point été lues à l’Académie ; je vous prie de croire qu’on n’eût pas souffert celle dont je vous parle[3].

Croyez-vous que les gloire-eu, victoire-eu, etc., qui sont si choquantes dans notre musique[4], soient absolument la faute de notre langue ? Je crois que c’est, au moins pour les trois quarts, celle de nos musiciens, et qu’on pourrait éviter cette désinence désagréable, en mettant la note sensible (Mme Denis me servira d’interprète), non comme ils le font sur la pénultième, mais sur l’antépénultième ; la tonique ou finale appuierait sur la pénultième, et la dernière serait presque muette ; mais il est encore plus sûr, comme vous le dites, pour éviter cet inconvénient, de ne terminer jamais le chant que sur des rimes masculines.

Adieu, mon cher et illustre maître ; voilà bien du bavardage. On m’a dit que Marmontel vous avait écrit le détail de la réception de Thomas ; elle a été fort brillante. Je crois, comme vous, que nous avons fait une très-excellente acquisition. Iterum vale.

  1. Voyez lettre 6592.
  2. Un anonyme fit remettre, en mars 1766, à l’Académie française, les fonds d’une médaille d’or destinée à celui‑qui aurait le mieux traité le sujet suivant : Exposer les avantages de la paix, etc. Le prix fut adjugé, en 1767, à La Harpe ; un second prix fut donné à Gaillard.
  3. La note dont parle d’Alembert n’est point dans l’imprimé.
  4. Voyez lettre 6652.