Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous me verrez arriver à Ferney. Croyez, je vous prie, que je désirerais surtout que les circonstances où se trouve ce pays-ci n’influassent en rien sur votre bonheur, et disposez de moi en tout ce qui sera de mon ressort. Votre lettre pour M. Thomas lui sera remise en main propre. Je serai toujours très-aise d’être utile à votre correspondance avec vos amis et les gens dont vous faites cas.

6700. — À M. HENNIN.
À Ferney, 29 janvier.

C’est une grande consolation pour nous, monsieur, dans la disette où nous sommes, et dans la saison la plus rigoureuse que nous ayons jamais éprouvée, de recevoir votre lettre du 28.

Nous avons envoyé chercher de la viande de boucherie à Gex, on n’y vend que de mauvaise vache ; nos gens n’ont pu la manger. Nous avons fait venir deux fois, par le courrier de Lyon, des vivres pour un jour, mais cela ne peut se répéter. Si la cessation de notre correspondance nécessaire avec Genève pouvait contribuer à ramener les esprits, nous nous réduirions volontiers à ne manger que du pain, et vous remarquerez en passant que le pain coûte ici quatre sous et demi la livre.

Nous faisions venir des provisions de Lyon pour cette année par les voitures publiques ; elles sont arrêtées. Notre aumônier est tombé très-dangereusement malade à Ornex : nous n’avons pu encore lui faire avoir ni médecin, ni chirurgien, parce que les carrosses qui les allaient chercher n’ont pu passer.

Tout le poids retombe uniquement sur nous, notre maison étant la seule considérable du pays. Vous savez que nous avons cent personnes à nourrir par jour. Vous savez que le pays de Gex ne fournit rien du tout. Les montagnes qui nous séparent de la Franche-Comté sont couvertes de dix pieds de neige cinq mois de l’année ; c’est la Savoie qui nous nourrit, et les Savoyards ne peuvent arriver à nous que par Genève. Il n’y a de marché qu’à Genève. Celui de Sacconex, comme vous le savez, ne fournit précisément qu’un peu de bois qu’on coupe en délit dans nos forêts.

Vous êtes témoin que tout abonde a Genève, qu’elle tire aisément toutes ses provisions par le lac, par le Faucigny, et par le Chablais ; qu’elle peut même faire venir du Valais les choses les plus recherchées. En un mot, il n’y a que nous qui souffrons. M. le chevalier de Jaucourt et M. le chevalier de Virieu[1] sont

  1. Le chevalier, depuis marquis de Jaucourt, brigadier des armées du roi, colonel de la légion de Flandre, était à la tête des troupes employées à l’investis-