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ANNÉE 1768.

le nom des Droits des hommes[1] ? Les philosophes finiront un jour par faire rendre aux princes tout ce que les prêtres leur ont volé ; mais les princes n’en mettront pas moins les philosophes à la Bastille, comme nous tuons les bœufs qui ont labouré nos terres.

Il paraît des Lettres philosophiques[2], où l’on croit démontrer que le mouvement est essentiel à la matière. Tout ce qui est pourrait bien être essentiel, car autrement pourquoi serait-il ? Pour moi, je cesserai bientôt d’être, car j’ai soixante-quinze ans, et je ne suis pas de la pâte de Moncrif. Quel cicéronien donnez-vous pour successeur à mon ancien préfet d’Olivet, et qui me donnerez-vous à moi ? Je me recommande à vous, et je vous embrasse de tout mon cœur.

7357. — À M. DUPONT.
Au château de Ferney, 15 octobre.

Je crois bien, mon cher ami, que les chiens qu’on a fessés aboient ; mais je vous assure que tous les honnêtes gens en rient, à commencer par ceux qui composent le conseil du roi, et par le roi lui-même ; je pourrais vous en dire des nouvelles. Soyez sûr que d’un bout de l’Europe à l’autre il s’est fait depuis quelque temps dans les esprits une révolution qui n’est ignorée peut-être que des capucins de Colmar et des chanoines de Porentruy. Le gendre du premier ministre d’Espagne[3], qui est venu chez moi, m’a appris qu’on venait de limer les dents et de couper les griffes à l’Inquisition ; on lui a ôté jusqu’au privilège de juger les livres et d’empêcher les Espagnols de lire. Ce qui se passe en Italie doit vous faire voir combien les temps sont changés. On débite actuellement dans Rome la cinquième édition della Riforma d’Italia[4], livre dans lequel il est démontré qu’il faut très-peu de prêtres et point de moines, et où les moines ne sont jamais traités que de canaille. Il faut une religion au peuple, mon ami ; mais il la faut plus pure et plus dépendante de l’autorité civile : c’est à quoi l’on travaille doucement dans tous les

  1. Tome XXVII, page 193.
  2. Lettres philosophiques sur l’origine des préjugés du dogme de l’immortalité de l’âme, etc. (par Toland, traduit par le baron d’Holbach, avec deux notes de Naigeon) ; 1768, in-12.
  3. Le marquis de Mora ; voyez page 11.
  4. Voyez la note 2, page 134.