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ANNÉE 1768.

mouillées et les âmes faibles. Il est trop honteux d’asservir son âme à la démence et à la bêtise de gens dont on n’aurait pas voulu pour ses palefreniers. Souvenons-nous des vers de l’abbé de Chaulieu :

Plus j’approche du terme, et moins je le redoute.
Sur des principes sûrs mon esprit affermi,
Content, persuadé, ne connaît plus de doute :
Des suites de ma fin je n’ai jamais frémi[1].

Adieu, madame ; je baise vos mains avec mes lèvres plates, et je vous serai attaché jusqu’au dernier moment.

7416. — DE MADAME LA MARQUISE DE DEFFANT[2].
Mardi, 13 décembre 1768.

Dormez-vous, monsieur ? Pour moi, je ne ferme pas l’œil, et cette manière d’allonger ma vie me déplaît fort. Je vous ai l’obligation de me souvent prendre mon mal en patience : c’est à vous que j’ai recours quand je ne sais plus que devenir ; je regrette toute autre ressource ; il n’y a point de lecture qui ne me fatigue au bout d’une demi-heure ; je lis, je rejette tout, et je demande du Voltaire.

J’ai reçu votre ceci ; mais il me faut et puis ceci, et puis cela, et je dirai après : encore ceci, encore cela. L’on me parle d’un A, B, C, d’un supplément au Dictionnaire philosophique ; ne devrais-je pas avoir tout cela ? Je ne crains point les frais ; mais si les ouvrages entiers sont trop gros, il faut les séparer. Enfin, mon cher contemporain, ayez soin de moi, avez pitié de moi ; soyez persuadé que rien n’altère le culte que je vous rends, et si vous ressembliez à votre rival, et qu’un grain de foi en vous pût transporter des montagnes, il y a longtemps que vous seriez transporté dans la cour de Saint-Joseph.

Quelle est donc cette quatrième découverte que vous avez faite ? Les trois premières étaient La Beaumelle, Beloste et Belestat. Pourquoi ne pas dire le nom de ce dernier marquis ? Ce serait le moyen de détruire tous les soupçons ; je n’y participe point, je vous crois incapable de telles manœuvres. Pourquoi voudriez-vous troubler la paix de votre ancien ami ? Vous n’avez jamais été soupçonné de ruses ni d’artifices, vous n’avez dû être jaloux de la gloire de personne : enfin il est absurde de vous soupçonner. Nommez l’auteur, je vous le conseille, et que votre réponse soit de façon à ne laisser aucun doute.

Je vous prie de me dire si vous approuvez le mot frais pour exprimer

  1. Dans sa iie épître à La Fare, Chaulieu dit, :

    · · · · · · · · · · ne connaît plus de doute.
    Je ne suis libertin ni dévot à demi.

  2. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.