Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
ANNÉE 1768.

eu le temps de recevoir votre lettre du 15 de novembre. Si je fais aussi aisément la guerre contre les Turcs que j’ai introduit l’inoculation, vous courez risque d’être sommé à tenir bientôt la promesse que vous me faites de me venir voir dans un gîte où, dit-on, se sont perdus tous ceux qui en ont fait la conquête. Voilà de quoi faire passer cette tentation à qui la prendra.

Je ne sais si Moustapha a de l’esprit ; mais j’ai lieu de croire qu’il dit : « Mahomet, ferme les yeux[1] ! » quand il veut faire des guerres injustes et sans cause à ses voisins. Si le succès de cette guerre se déclare pour nous j’aurai beaucoup d’obligations à Moustapha et à ses adhérents, parce qu’ils m’auront procuré une gloire à laquelle je ne pensais pas. Je ferai mon possible pour mener les Turcs au même spectacle auquel la troupe de Paoli joue si bien. Je ne sais si ce dernier parle français, mais il sait combattre pour ses foyers et son indépendance.

Pour nouvelle d’ici, je vous dirai, monsieur, que tout le monde généralement veut être inoculé, qu’il y a un évêque qui va subir cette opération, et qu’on a inoculé ici dans un mois autant de personnes qu’à Vienne dans huit.

Je ne saurais, monsieur, assez vous témoigner ma reconnaissance pour toutes les choses obligeantes que vous prenez à tout ce qui me regarde. Soyez persuadé que je sens tout le prix de votre estime, et qu’il n’y a personne qui ait pour vous plus de considération que

Catherine.

Monsieur, j’ai reçu un coffret qui renfermait le buste du génie dont notre siècle se glorifiera. Je lui ai trouvé au cou un ruban couleur de rose, auquel était attaché un papier qui contenait quatre vers dont je n’ai pu reconnaître l’auteur.

7420. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 17 décembre.

Je suis dans mon lit avec un rhume, mon cher et illustre maître, et je me sers d’un secrétaire pour vous répondre sur-le-champ. Je suis étonné que vous n’ayez point reçu une lettre que je vous ai écrite il y a quinze jours, et dans laquelle je vous mandais le triste état de notre pauvre ami Damilaville[2], qui a cessé de vivre, ou plutôt de souffrir, le 13 de ce mois. Il y avait plus de trois semaines qu’il existait avec douleur, et presque sans connaissance ; et sa mort n’est un malheur que pour ses amis. Il a été confessé sans rien entendre, et a reçu l’extrême-onction sans s’en apercevoir.

Je vous disais aussi, dans la même lettre, que notre secrétaire Duclos,

  1. C’est ce que Favart fait dire à l’un des personnages dans les Trois Sultanes, acte II, scène xv.
  2. Lettre 7402.