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ANNÉE 1768.

Votre petite mère ou grand’mère a un cœur généreux et compatissant ; elle daigne proposer la paix entre La Bletterie et moi. Je demande, pour premier article, qu’il me permette de vivre encore deux ans, attendu que je n’en ai que soixante-quinze ; et que, pendant ces deux années, il me soit loisible de faire une épigramme contre lui tous les six mois ; pour lui, il mourra quand il voudra.

Saviez-vous qu’il a outragé le président Hénault autant que moi ? Tout ceci est la guerre des vieillards. Voici comme cet apostat janséniste s’exprime, page 235, tome II : « En revanche, fixer l’époque des plus petits faits avec exactitude, c’est le sublime de plusieurs prétendus historiens modernes. Cela leur tient lieu de génie et des talents historiques. »

Je vous demande, madame, si on peut désigner plus clairement votre ami ? Ne devait-il pas l’excepter de cette censure aussi générale qu’injuste ? ne devait-il pas faire comme moi, qui n’ai perdu aucune occasion de rendre justice à M. Hénault, et qui l’ai cité trois fois[1] dans le Siècle de Louis XIV, avec les plus grands éloges ? Par quelle rage ce traducteur pincé du nerveux Tacite outrage-t-il le président Hénault, Marmontel, un avocat Linguet, et moi, dans des notes sur Tibère ? Qu’avons-nous à démêler avec Tibère ? Quelle pitié ! et pourquoi votre petite mère n’avoue-t-elle pas tout net que l’abbé de La Bletterie est un malavisé ?

Et vous, madame, il faut que je vous gronde. Pourquoi haïssez-vous les philosophes quand vous pensez comme eux ? Vous devriez être leur reine, et vous vous faites leur ennemie. Il y en a un[2] dont vous avez été mécontente ; mais faut-il que le corps en souffre ? est-ce à vous de décrier vos sujets ?

Permettez-moi de vous faire cette remontrance, en qualité de votre avocat général. Tout notre parlement sera à vos genoux quand vous voudrez ; mais ne le foulez pas aux pieds, quand il s’y jette de bonne grâce.

Votre petite mère et vous, vous me demandez l’A, B, C. Je vous proteste à toutes deux, et à l’archevêque de Paris, et au syndic de la Sorbonne, que l’A, B, C. est un ouvrage anglais, composé par un M. Huet, très-connu, traduit il y a dix ans, imprimé en 1762[3] ; que c’est un roast-beef anglais, très-diffi-

  1. Et même quatre fois ; voyez tome XIV, pages 35, 66, 79, 80.
  2. D’Alembert.
  3. Voyez la note 1, page 188.