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CORRESPONDANCE.

duiront leur empire dans le Gévaudan, et on sera bien étonné. La bonne cause commence à se faire connaître sourdement partout, et c’est de quoi je bénis Dieu dans ma retraite. J’achève ma vie en travaillant à la vigne du Seigneur, dans l’espérance qu’il viendra de meilleurs apôtres, plus puissants en œuvres et en paroles.

Quoi qu’on dise à Paris que la fête de la Présentation de Notre-Dame[1] doit se célébrer au commencement de janvier, je n’en crois encore rien : car à qui présenter ? à des vierges ? Cela ne serait pas dans l’ordre.

On parle de grandes tracasseries. Je ne connais que celles de Corse. Elles ne réussissent pas plus dans l’Europe que le Tacite de La Bletterie en France. Mais le mal est médiocre ; et, après la guerre de 1756, on ne peut marcher que sur des roses. Pour le parlement, il fait naître le plus d’épines qu’il peut.

7439. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 2 janvier.

Je ne suis plus enrhumé, mon cher maître ; mais je me sers d’un scribe pour ménager mes jeux, qui sont très-faibles aux lumières. Je vous envoie mon discours[2], puisque vous lui faites l’honneur de vouloir le lire. Je vous l’ai fait attendre quelques jours, et beaucoup plus longtemps qu’il ne mérite, parce qu’il était à courir le monde, et que je n’ai pu le ravoir qu’aujourd’hui ; voulez-vous bien me le renvoyer sous l’enveloppe de Marin ? Il n’est que trop vrai qu’un certain gentilhomme a tenu au roi de Danemark le ridicule propos qu’on vous a dit[3]. Vous verrez dans mon discours un petit mot de correction fraternelle pour ce gentilhomme, qui était présent, et qui, à ce que je crois, l’aura sentie ; car je ne gâte pas ces messieurs. Vous voyez, mon cher ami, ce qui en arrive quand on les flatte : ils trouvent mauvais qu’on se moque des plats auteurs qu’ils protègent ; on s’expose à de tels reproches quand on caresse ceux qui les font. La critique de Linguet aurait pu être meilleure et de meilleur goût ; cependant, comme il a raison presque en tout, elle a beaucoup chagriné son maussade adversaire ; la liste des phrases tirées de la traduction est bien ridicule, et peut-être aurait suffi.

Vous devez des regrets au pauvre Damilaville ; il vous était bien attaché. Je savais qu’il était marié, mais non par lui, car il ne me disait rien de ses affaires. J’ai vu sa femme une seule fois, et, d’après cette vue, je doute

  1. Pour comprendre ce passage, il faudrait savoir ce que le comte de Rochefort avait écrit à Voltaire. (B.) — Il s’agit sans doute de la présentation de la Du Barry à Versailles. (G. A.)
  2. Voyez la note, page 194.
  3. Voyez page 201.