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ANNÉE 1769.

nement susceptibles d’allusions plus dangereuses ; cependant on les représente souvent sans que personne en murmure.

L’intérêt que je prends au jeune auteur, et mon amour pour la tolérance, qui est en effet le sujet de la pièce, me font désirer passionnément que cette tragédie paraisse embellie par vos rares talents.

Si on s’obstinait à reconnaître l’Inquisition dans le tribunal des prêtres païens, je n’y vois ni aucun mal ni aucun danger. L’Inquisition a toujours été abhorrée en France. On vient de couper les griffes de ce monstre en Espagne et en Portugal. Le duc de Parme a donné à tous les souverains l’exemple de la détruire. Si les mauvais prêtres sont peints dans la pièce avec les traits qui leur conviennent, l’éloge des bons prêtres se trouve en plusieurs endroits.

Enfin le jugement de l’empereur, qui termine l’ouvrage, paraît dicté pour le bonheur du genre humain.

J’ai prié M. d’Argental[1], de la part de l’auteur, de me renvoyer votre manuscrit, sur lequel on porterait incontinent soixante ou quatre-vingts vers nouveaux qui me semblent fortifier cet ouvrage, augmenter l’intérêt, et rendre encore plus pure la saine morale qu’il renferme. Je renverrais le manuscrit sur-le-champ ; il n’y aurait pas un moment de perdu.

Je crois que, dans les circonstances présentes, il conviendrait que la pièce fût jouée sans délai, fût-ce dans le cœur de l’été. L’auteur ne demande point un grand nombre de représentations ; il ne veut point de rétribution ; il ne souhaite que le suffrage des connaisseurs et des gens de bien. Quand la pièce aura passé une fois à la police, elle restera à vos camarades, et la singularité du sujet pourra attirer toujours un grand concours.

J’ai mandé, autant qu’il m’en souvient, à M. et à Mme d’Argental tout ce que je vous écris. Je m’en rapporte entièrement à eux. Ils honorent l’ouvrage de leur approbation ; ils peuvent le favoriser, non-seulement par eux-mêmes, mais par leurs amis. On attend tout de leur bonté, de leur zèle, et de leur prudence.

Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher grand acteur, et je vous prie de seconder, de tout votre pouvoir, les bons offices de mes respectables amis[2].

  1. La lettre manque.
  2. Dans quelques éditions, on trouve ici la première des Lettres à l’abbé Foucher, que nous avons placées dans les Mélanges, tome XXVII, page 431.