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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/351

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ANNÉE 1769.

cela est si vrai qu’ayant, dans mon obscurité et dans mon hameau, quadruplé le petit nombre des habitants, bâti leurs maisons, civilisé des sauvages, et prêché la tolérance, j’ai été sur le point d’être très-violemment persécuté par des prêtres. Le supplice abominable du chevalier de La Carre, dont Votre Majesté impériale a sans doute entendu parler, et dont elle a frémi, me fit tant d’horreur que je fus alors sur le point de quitter la France et de retourner auprès du roi de Prusse. Mais aujourd’hui, c’est dans un plus grand empire que je voudrais finir mes jours.

Que Votre Majesté juge donc combien je suis affligé, quand je vois les Turcs vous forcer à suspendre vos grandes entreprises pacifiques pour une guerre qui, après tout, ne peut être que très-dispendieuse, et qui prendra une partie de votre génie et de votre temps.

Quelques jours avant de recevoir la lettre dont je remercie bien sensiblement Votre Majesté, j’écrivis à M. le comte de Schouvalow[1], votre chambellan, pour lui demander s’il était vrai qu’Azof fût entre vos mains. Je me flatte qu’à présent vous êtes aussi maîtresse de Taganrog[2].

Plût à Dieu que Votre Majesté eût une flotte formidable sur la mer Noire ! Vous ne vous bornerez pas sans doute à une guerre défensive ; j’espère bien que Moustapha sera battu par terre et par mer. Je sais bien que les janissaires passent pour de bons soldats ; mais je crois les vôtres supérieurs. Vous avez de bons généraux, de bons officiers, et les Turcs n’en ont point encore : il leur faut du temps pour en former. Ainsi toutes les apparences font croire que vous serez victorieuse. Vos premiers succès décident déjà de la réputation des armes, et cette réputation fait beaucoup. Votre présence ferait encore davantage. Je ne serais point surpris que Votre Majesté fît la revue de son armée sur le chemin d’Andrinople : cela est digne de vous. La législatrice du Nord n’est pas faite pour les choses ordinaires. Vous avez dans l’esprit un courage qui me fait tout espérer.

J’ai revu l’ancien officier[3] qui proposa des chariots de guerre dans la guerre de 1756. Le comte d’Argenson, ministre de la guerre, en fit faire un essai. Mais comme cette invention ne pouvait réussir que dans de vastes plaines, telles que celles de Lut-

  1. Cette lettre manque.
  2. C’est dans cette ville que l’empereur Alexandre, petit-fils de Catherine, est mort le 1er décembre 1825. (B.)
  3. Voyez une note de la lettre 7468.