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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/357

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ANNÉE 1769.

chanceté. C’est le calomniateur le plus bête qui soit dans l’Église de Dieu. Je n’ai pu le chasser d’Annecy comme les Genevois ont chassé ses prédécesseurs de Genève, parce que je n’ai pas douze mille hommes à mon service. Je n’ai pu combattre l’excès de son insolence et de sa bêtise qu’avec les armes défensives dont je me suis servi. Je n’ai fait[1] que ce qui m’a été conseillé par deux avocats, et par un magistrat très-accrédité du parlement de Dijon, dans le ressort duquel je suis. En un mot, on ne me traitera pas comme le chevalier de La Barre. J’ai agi en citoyen, en sujet du roi, qui doit être de la religion de son prince, et je braverai les scélérats persécuteurs jusqu’à mon dernier moment.

Je vous ai demandé[2], mon cher ami, mon cher philosophe, si vous travailliez en effet à la nouvelle Encyclopédie. Les éditeurs de Paris ont paru craindre un rival dans un apostat italien nommé Felice[3]. C’est un polisson plus imposteur encore qu’apostat, qui demeure dans un cloaque du pays de Vaud. Ce fripon, qui a été prêtre autrefois, et qui en était digne, qui ne sait ni le français ni l’italien, prétend qu’il a quatre mille souscriptions, et il n’en a pas une seule ; il veut tromper Panckoucke. J’ai peur que la librairie ne soit devenue un brigandage ; pour la philosophie, elle n’est qu’une esclave. Vous êtes né avec le génie le plus mâle et le plus ferme : mais vous n’êtes libre qu’avec vos amis, quand les portes sont fermées.

Nous avons heureusement un chancelier[4] plein d’esprit, de raison et d’indulgence : c’est un trésor que Dieu nous a envoyé dans nos malheurs. Il faudrait qu’il s’en rapportât à M. Marin pour les affaires de la librairie : il peut rendre beaucoup de services à la littérature. Il faudrait que Marin fût un jour de l’Académie, et qu’il succédât à quelque cuistre à rabat pour purifier la place.

Je vous renvoie à la lettre que M. de Rochefort doit vous rendre, pour que soyez instruit des petites friponneries ecclésiastiques qui sont en usage depuis plus de dix-sept cents ans[5].

  1. Il parle de sa communion.
  2. Lettre 7556.
  3. Fortuné-Barthélémy de Felice, né à Rome le 24 août 1723, est mort le 7 février 1789. Son Encyclopédie est en cinquante-huit volumes in-4°, savoir, quarante-deux volumes publiés de 1770 à 1775 ; six volumes de supplément, de 1775 et 1776 ; dix volumes de planches, de 1775 à 1780.
  4. Le chancelier Maupeou II, nommé le 16 septembre 1768, sur la démission de son père. Voyez tome XVI, page 107.
  5. Voyez le Cri des Nations, tome XXVII, page 565.