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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/368

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CORRESPONDANCE.
7574. — À M. L’ABBÉ AUDRA[1].
Le 14 juin.

Votre zèle, mon cher philosophe, contre les fables décorées du nom d’histoire, est très-digne de vous. Mais comment faire avec des nations chez lesquelles il n’y a d’autre éducation que celle de l’erreur ; où tous les livres nous trompent, depuis l’almanach jusqu’à la gazette ? Il y aurait bien quelques petits chapitres à faire sur cet amas inconcevable de bêtises dont on nous berce. Le temps viendra où l’on jettera au feu toutes nos chronologies dans lesquelles on prend pour époques des aventures entièrement fausses, et des personnages qui n’ont jamais existé. Mais une époque bien vraie, bien agréable, sera celle où le parlement de Toulouse vengera l’innocence opprimée par ce misérable juge de village qui a outragé également les lois, la nature et la raison, en osant condamner les Sirven. Ce sera à vous que nous aurons l’obligation de la justice qu’on nous rendra. J’espère que cette affaire, que j’ai tant à cœur, finira au moins cette année. Si je pouvais aller à Toulouse, je viendrais vous embrasser.

7575. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 juin.

Mes divins anges sauront que j’ai envoyé quatre exemplaires des Guèbres à M. Marin : l’un pour vous ; le second pour lui ; le troisième pour l’impression ; le quatrième pour Mme Denis.

Je ne suis pas à présent en état d’en juger, parce que je suis assez malade ; mais, autant qu’il peut m’en souvenir, cet ouvrage me paraissait fort honnête et fort utile, il y a quelques jours, dans le temps que je souffrais un peu moins. Il en sera tout ce qu’il plaira à Dieu et à la barbarie dans laquelle nous sommes actuellement plongés.

Eh bien, mon cher ange, nous n’avons donc vécu que pour voir anéantir la scène française qui faisait vos délices et ma passion. Je ne m’attendais pas que le théâtre de Paris mourrait avant moi. Il faut se soumettre à sa destinée. Je suis né quand Racine vivait encore, et je finis mes jours dans le temps du Siège de Calais, et dans le triomphe de l’Opéra-Comique. Un peu

  1. Voyez lettre 7457.