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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/387

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ANNÉE 1769.
7591. — À M. DERREY DE ROQUEVILLE.
Ferney, 12 juillet 1769.

Je vous dois, monsieur, autant de remerciements que d’éloges. Vous êtes une preuve de ce que j’ai dit publiquement, que l’éloquence qui régnait à Paris, sous le grand siècle de Louis XIV, se réfugie aujourd’hui en province. Je serais bien étonné si Louis Dussol[1] ne vous doit pas sa fortune : il est pauvre, il doit donc partager avec les pauvres ; il est de la famille, il doit donc avoir la meilleure part. Voilà comment la nature jugerait ce procès, si on lui faisait l’honneur de la consulter. Toute loi qui contredit la nature est bien injuste !

Pardonnez à un vieillard malade, qui répond tard, et quand il peut.

7592. — À M. L’ABBÉ MORELLET.
À Ferney, 14 juillet.

J’ai reçu ces jours-ci, monsieur, le plan du Dictionnaire de Commerce : je vous en remercie. Il y aura, grâce à vous, des commerçants philosophes. Je ne verrai certainement pas l’édition des cinq volumes, je suis trop vieux et trop malade ; mais je souscris du meilleur de mon cœur : c’est ma dernière volonté. J’ai deux titres essentiels pour souscrire ; je suis votre ami, et je suis commerçant ; j’étais même très-fier quand je recevais des nouvelles de Porto-Bello et de Buenos-Ayres. J’y ai perdu quarante mille écus. La philosophie n’a jamais fait faire de bons marchés, mais elle fait supporter les pertes. J’ai mieux réussi dans la profession de laboureur ; on risque moins, et on est moralement sûr d’être utile.

Avouez qu’il est assez plaisant qu’un théologien, qui pouvait couler à fond saint Thomas et saint Bonaventure, embrasse le commerce du monde entier, tandis que Grozat et Bernard n’ont jamais lu seulement leur catéchisme. Certainement votre entreprise est beaucoup plus pénible que la leur ; ils signaient des lettres écrites par leurs commis. Je vous souhaite la trente-troisième partie de la fortune qu’ils ont laissée, cela veut dire un million de bien, que vous ne gagnerez certainement pas avec les

  1. Louis Dussol réclamait devant le parlement de Toulouse l’héritage d’un frère qui, revenant d’Amérique, où il s’était enrichi, et se croyant sans famille, avait légué sa fortune aux hospices.