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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/435

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ANNÉE 1769.

Pendant que nous sommes tous deux de mauvaise humeur, j’ai envie de vous apprendre, pour vous ragaillardir, que j’avais proposé cette année, à l’Académie française, pour le sujet du prix de poésie, les Progrès de la raison sous le règne de Louis XV ; que cette proposition avait passé après de grands débats ; que même quelques-uns de nos prêtres (car nous en avons de raisonnables) y avaient accédé, mais que d’autres s’y sont montrés si opposés que, dans la crainte de quelques protestations et de quelque éclat de leur part, nous avons été obligés de renoncer à ce sujet, et d’en proposer un trivial, qui prête plus à la déclamation qu’à la philosophie.


Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes.

(Corneille, Cinna, acte I, scène iii.)


Qu’en dites-vous, mon cher maître[1] ?

7645. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, 29 août 1769.

Ah ! monsieur de Voltaire, il me prend un désir auquel je ne puis resister, c’est de vous demander, à mains jointes, de faire un éloge, un discours (comme vous voudrez l’appeler, dans la tournure que vous voudrez lui donner) sur notre Molière. L’on me lut hier l’écrit qui a remporté le prix à l’Académie ; on l’approuve, on le loue fort injustement à mon avis. Je n’entends rien à la critique raisonnée ; ainsi je n’entrerai point en détail sur ce qui m’a choquée et déplu ; je vous dirai seulement que le style académique m’est en horreur, que je trouve absurdes toutes les dissertations, tous les préceptes que nous donnent nos beaux esprits d’aujourd’hui sur le goût et sur les talents, comme si l’on pouvait suppléer au génie. Je prêcherai votre tolérance, je vous le promets, je m’y engage, si vous m’accordez d’être intolérant sur le faux goût, et sur le faux bel esprit qui établit aujourd’hui sa tyrannie ; donnez un moment de relâche à votre zèle sur l’objet où vous avez eu tant de succès, et arrêtez le progrès de l’erreur dans l’objet qui m’intéresse bien davantage.

J’ai enfin lu l’Histoire des Parlements ; il se peut bien que le second volume ne soit pas de la même main que le premier ; mais, mon cher ami.

  1. Une lettre du comte de Guibert à Voltaire, 29 août 1769, est signalée dans un catalogue d’autographes avec la mention suivante :

    « Lettre des plus curieuses, écrite de Corse et pleine de détails très-piquants, sur Paoli et ses lieutenants, dont la férocité égale la lâcheté. « Les Corses n’aiment l’indépendance que par vice ; ils sont paresseux, vindicatifs et fourbes. Il me paraît que c’est une action digne d’un siècle que vous avez éclairé de leur offrir une domination douce où ils pourraient connaître le bonheur de vivre en société, de cultiver leurs terres et les arts, et de n’être pas assassinés par des gens qui ont le chapelet à la main…. »

  2. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.