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CORRESPONDANCE

ments que vous appelez bagatelles littéraires. Il montre sa foi par ses œuvres[1], il produit ses sentiments, soit dans ses écrits, soit dans sa conduite, d’une façon qui rend à la religion l’hommage qui lui est dû ; il ne se flatte pas d’en avoir rempli les devoirs pour en avoir fait quelques exercices, une fois ou deux chaque année, dans l’église de sa paroisse, ni même pour avoir fait, dans une longue suite d’années, une ou deux communions dont le public a été plus scandalisé qu’édifié.

Je vous laisse après cela, monsieur, à juger ce que vous aurez à faire. Des occupations pressantes ne me permettent pas d’en dire davantage, et probablement je n’aurai rien à vous dire de plus, jusqu’à ce qu’un retour de votre part, tel que je le souhaite, me mette à même de vous convaincre de la droiture de mes intentions, et de la sincérité du désir de votre salut, qui sera toujours inséparable du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.

7256. — À M. DE CHABANON.
À Ferney, 5 mai.

Mon cher ami, je suis comme vous, je pense toujours à Eudoxie. Je vous demande en grâce de ne vous point presser. Je vous conjure surtout de donner aux sentiments cette juste étendue, nécessaire pour les faire entrer dans l’âme du lecteur ; de soigner le style, de le rendre touchant ; que tout soit développé avec intérêt, que rien ne soit étranglé, qu’un intérêt ne nuise point à l’autre ; qu’on ne puisse pas dire : Voilà un extrait de tragédie plutôt qu’une tragédie. Que le rôle de l’ambassadeur soit d’un politique profond et terrible ; qu’il fasse frémir, et qu’Eudoxie fasse pleurer : que tout ce qui la regarde soit attendrissant, et que tout ce qui regarde l’empire romain soit sublime : que le lecteur, en ouvrant le livre au hasard, et en lisant quatre vers, soit forcé, par un charme invincible, de lire tout le reste.

Ce n’est pas assez qu’on puisse dire : Cette scène est bien amenée, cette situation est raisonnable ; il faut que cette scène soit touchante, il faut que cette situation déchire le cœur.

Quand vous mettrez encore trois ou quatre mois à polir cet ouvrage, le succès vous payera de toutes vos peines. Elles sont grandes, je l’avoue ; mais le plaisir de réussir pleinement auprès des connaisseurs vous dédommagera bien.

Vous vous amusez donc toujours de Pandore ? Je conçois que l’époux soumis et facile[2] est un vrai Parisien, et qu’il ne faut pas

  1. Êpître de saint Jacques, ii, 18.
  2. Dans le Ve acte de Pandore (voyez tome III) on lit :

    Vous régnerez sur votre époux ;
    Il sera soumis et facile.