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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/582

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CORRESPONDANCE.

représentée sur le théâtre de cette ville. C’est ici le cas des poltrons révoltés, et on pourrait dire :


Quid domini facient, audent quum talia fures ?

(Virg., ecl. iii, v. 13.)

Connaissez-vous le nouvel ouvrage de La Harpe[1], dont le sujet est une autre atrocité arrivée, il y a deux ans, dans un couvent de Paris, grâce encore à l’humanité et à la sagesse de nos lois ecclésiastiques, bien dignes de figurer avec nos lois criminelles ? Cet ouvrage me paraît bien supérieur à tout ce qu’il a fait jusqu’à présent, et pourrait bien lui ouvrir incessamment les portes de l’Académie. Que dites-vous de la traduction des Géorgiques de l’abbé Delille ? je doute que celle de Simon Lefranc soit meilleure[2]. À propos de vers, je me console dans mon inaction en lisant les vôtres, et je persiste dans ce que je vous disais il n’y a pas longtemps, que Despréaux me paraît forger très-habilement les siens, ou, si vous voulez, les travailler fort bien au tour ; Racine, les jeter parfaitement en moule ; et vous, les créer.

Vous ne m’avez rien répondu sur ce que je vous ai mandé pour justifier un de vos plus zélés admirateurs[3], accusé très-injustement auprès de vous ; aurais-je eu le malheur de ne vous pas détromper ? vous pouvez cependant être bien sûr que je vous ai dit la pure vérité. Qu’est-ce qu’une Mme Maron de Meilhonat[4] qui vous a, dit-on, envoyé des vers charmants ? serait-ce une descendante de Virgile Maron ?

Vous faites donc l’Encyclopédie à vous tout seul ? Vous avez bien raison de dire qu’on a employé trop de manœuvres à cet ouvrage, et qu’on y a trop mis de déclamations. En vérité on est bien bon d’en avoir tant de peur, et de ruiner par ce motif de pauvres libraires. C’est un habit d’arlequin, où il y a quelques morceaux de bonne étoffe, et trop de haillons. Bonjour, mon cher et illustre maître ; aimez-moi, et portez-vous bien ; mes respects à Mme Denis. Le chevalier de La Tremblaye[5] est en peine de savoir si vous avez reçu, il y a quelques mois, les remerciements qu’il vous a faits au sujet, je crois, de vos Œuvres, que vous lui avez envoyées.

7798. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
Ferney, 24 février.

Madame, tout l’ordre des capucins n’a pas assez de bénédictions pour vous. Je n’osais ni espérer ni demander ce que vous

  1. Mélanie.
  2. La traduction des Géorgiques, par Lefranc, imprimée en 1784, in-8°.
  3. Turgot ; voyez lettre 7762.
  4. Voyez la note sur la lettre à Lalande, du 6 février 1775.
  5. Voyez tome XLIII page 306.