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ANNÉE 1768.

ferai-je donc, moi, qui ai la calomnie à combattre depuis environ cinquante ans, et qui suis persécuté par la nature autant que par la méchanceté des fanatiques ?

Je vois que vous voulez choisir un sujet qui puisse flatter un roi du Nord. La bienfaisance est une belle chose ; mais il y a des pays où l’on ne connaît guère les bienfaits et où l’on ne fait que des marchés.

Je voudrais bien savoir quel est notre concitoyen qui a remporté le prix de Pétersbourg. Le sujet était cette question : S’il est avantageux à un, État que les serfs deviennent libres, et que les cultivateurs travaillent pour eux-mêmes. C’était là un sujet digne de vous ; mais quelque problème que vous vous amusiez à résoudre, vous rendrez toujours service aux hommes quand vous écrirez.

Je ne crois pas que Sirven puisse tenter par autrui la réhabilitation de sa femme, qu’il n’ose pas entreprendre lui-même. Il n’a point, du moins jusqu’à présent, trouvé de parent qui veuille s’exposer à se faire dire, par le parlement de Toulouse : De quoi vous avisez-vous de prendre parti dans une affaire où les condamnés tremblent de paraître ? Je crois qu’il restera dans mon voisinage. C’est du moins une victime arrachée à la gueule du fanatisme.

Adieu, mon très-cher Cicéron ; ma lettre est courte, mais je suis encore bien languissant. Un corps faible de soixante-quinze ans n’est pas fort alerte. Adieu, couple aimable, que j’ai eu le malheur de ne point voir, et auquel je suis attaché autant que ceux qui jouissent de ce bonheur.

7290. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Dimanche, 3 juillet 1768.

Vous vous applaudissez peut-être, monsieur, de m’avoir perdue. Oh ! que non, de telles bonnes fortunes ne sont pas faites pour vous, vous ne me perdrez jamais. Soyez saint ou profane, je ne cesserai point d’entretenir une correspondance qui me fait tant de plaisir ; je ne savais cependant comment m’y prendre pour la renouer ; mais voilà le président qui m’en fournit une occasion admirable. M. Walpole, qui a une très-belle presse a sa campagne[2], vient de lui faire la galanterie d’imprimer son premier ouvrage[3] ; il veut que ce soit moi qui vous l’envoie ; il n’oserait pas, dit-il, vous faire lui--

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
  2. Strawberry-Hill.
  3. Cornelie, tragédie ; voyez la note 1 de la page 77.