Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
CORRESPONDANCE

les ouvrages hardis dont vous me parlez, et que je ne connais ni ne veux connaître. Il s’est mis au rang de mes persécuteurs les plus acharnés.

Quant aux petites pièces innocentes et gaies dont vous me parlez, s’il m’en tombait quelqu’une entre les mains, dans ma profonde retraite, je vous les enverrai sans doute ; mais par qui, et comment ? et si on vous les lit devant le monde, est-il bien sur que ce monde ne les envenimera pas ? la société à Paris a-t-elle d’autres aliments que la médisance, la plaisanterie et la malignité ? ne s’y fait-on pas un jeu, dans son oisiveté, de déchirer tous ceux dont on parle ? y a-t-il une autre ressource contre l’ennui actif et passif dont votre inutile beau monde est accablé sans cesse ? Si vous n’étiez pas plongée dans l’horrible malheur d’avoir perdu les yeux (seul malheur que je redoute), je vous dirais : Lisez, et méprisez ; allez au spectacle, et jugez ; jouissez des beautés de la nature et de l’art. Je vous plains tous les jours, madame ; je voudrais contribuer à vos consolations. Que ne vous entendez-vous avec Mme la duchesse de Choiseul pour vous amuser des bagatelles que vous désirez ? Mais il faut alors que vous soyez seules ensemble ; il faut qu’elle me donne des ordres très-positifs, et que je sois à l’abri du poison de la crainte, qui glace le sang dans des veines usées. Montrez-lui ma lettre, je vous en supplie ; je sais qu’elle a, outre les grâces, justesse dans l’esprit et justice dans le cœur ; je m’en rapporterai entièrement à elle.

Adieu, madame ; je vous respecte et je vous aime autant que je vous plains, et je vous aimerai jusqu’au dernier moment de notre courte et misérable durée.

7300. — À M. HORACE WALPOLE[1].
À Ferney, le 15 juillet.

Monsieur, il y a quarante ans que je n’ose plus parler anglais, et vous parlez notre langue très-bien. J’ai vu des lettres de vous,

  1. En réponse à la lettre du 6 juin (n° 7277), Horace Walpole se hâta d’envoyer son ouvrage sur Richard III à Voltaire, et fit précéder son envoi d’une lettre écrite en anglais a la date du 21 juin. Nous en traduisons ou plutôt imitons quelques passages.

    Après s’être excusé d’écrire en anglais, dans la crainte, dit Walpole, de ne pas bien rendre dans une langue qui lui est étrangère tous les sentiments dont il est pénétré, il témoigne à son célèbre correspondant la frayeur que lui fait éprouver le premier génie du monde, par son illustration dans les sciences, et