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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/103

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être celui des officiers qui ont été blessés au service. Je ne sais pas ce qu’il demande. Pour moi, je ne demanderais, à Versailles, que l’honneur et la consolation de vous entendre. Tout le monde croit, dans mon pays de neiges, que j’ai un grand crédit auprès de vous, depuis l’aventure des capucins, et surtout depuis celle des montres. Moi, qui suis excessivement vain, je ne les détrompe pas ; ils viennent tous me dire : Allons, notre secrétaire, vite une lettre pour madame la duchesse, qui fait du bien pour son plaisir. Je baisse les oreilles, j’écris, et puis je suis tout honteux, et je voudrais m’aller cacher.

J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, et en rougissant de mes hardiesses, madame, votre très-humble, très-obéissant, et très-obligé serviteur.

7902. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
1er juin.

Vous avez dû voir, madame, que je consume ma pauvre vie dans mes déserts de neige pour vous récréer un quart d’heure, vous et votre grand’maman. Il y a des insectes qui sont trois ans à se former pour vivre quelques minutes : c’est le sort de la plupart des ouvrages en plus d’un genre. Je vous prie toutes deux de prêter un peu d’attention à l’article Anciens et Modernes[1], c’est une affaire de goût : vous êtes juges en dernier ressort.

Quant aux choses scientifiques, je ne crois pas que tout ce qu’on ne peut comprendre soit inutile. Personne ne sait comment une médecine purge, et comment le sang circule vingt fois par heure dans les veines ; cependant il est très-souvent utile d’être purgé et saigné.

Il est fort utile d’être défait de certains abominables préjugés, sans qu’on ait quelque chose de bien satisfaisant à mettre à la place. C’est assez qu’on sache certainement ce qui n’est pas, on n’est pas obligé de savoir ce qui est. Je suis grand démolisseur, et je ne bâtis guère que des maisons pour les émigrants de Genève. La protection de Mme la duchesse de Choiseul leur a fait plus de bien que leurs compatriotes ne leur ont fait de mal. Qui m’aurait dit que je lui devrais tout, et qu’un jour je fonderais au mont Jura une colonie qui ne prospérerait que par ses bontés ? et puis qu’on dise qu’il n’y a point de destinée ! C’est vous,

  1. Voyez tome XVII, page 225.