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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/134

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actuellement à Paris ? Adieu, mon cher maître ; je n’ai pas la force de vous en écrire davantage ; mais je n’ai pas voulu tarder plus longtemps à répondre à vos questions.

Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

7942. — À M. LE MARQUIS DE JAUCOURT,
commandant en bresse.
Juin.

Mon très-généreux et très cher-commandant, je suis votre sujet plus que jamais. J’ai établi dans le hameau Ferney-lez-Versoy une petite annexe de vos manufactures de montres de votre capitale de Bourg-en-Bresse. Cette salle de théâtre que vous connaissez est changée en ateliers ; on fond de l’or, on polit des rouages, là où on déclamait des vers ; il faut bâtir de nouvelles maisons pour les émigrants ; tous les ouvriers de Genève viendraient, s’il y avait de quoi les loger. Il faut songer que chacun veut avoir une montre d’or, depuis Pékin jusqu’à la Martinique, et qu’il n’y avait que trois grandes manufactures, Londres, Paris et Genève.

Les âmes tolérantes et sensibles seront encore fort aises d’apprendre que soixante huguenots vivent avec mes paroissiens de façon qu’il ne serait pas possible de deviner qu’il y a deux religions chez moi ; voilà qui est consolant pour la philosophie, et qui démontre combien l’intolérance est absurde et abominable. La révolution s’est faite tout doucement dans les têtes les moins instruites comme dans les plus éclairées ; nous verrons la même chose dans dix ans en Turquie, si mon impératrice pousse sa pointe, comme dit le Père Daniel. Ma foi, le temps de la raison est venu, et j’en bénis Dieu, tout capucin que je suis c’est dommage que je sois si vieux et si malade, car je me flatte que dans quelques années je verrais le vrai paradis de mon vivant.

Conservez-moi vos bontés, monsieur, elles sont un des ingrédients de mon paradis.

Frère François.

Je lis actuellement tous les articles de M. le chevalier de Jaucourt ; vous ne sauriez croire combien il me fait aimer sa belle âme, et comme je m’instruis avec lui.