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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/164

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tragique que dans trois ou quatre scènes, quand il fit un petit voyage en Espagne ?

L’ami Lantin ne s’est amusé à ressemeler Sophonisbe que pour montrer qu’il y avait du tragique avant le raisonneur. Le cinquième acte de Mairet avait un très-grand fond de tragique ; mais on ne pouvait pas faire grand’chose de Massinisse ; il en a fallu faire un jeune imprudent qui se laisse prendre comme un sot. Non est hic vis tragica[1].

Dans tout ce qui se passe aujourd’hui en France, il y a comica, mais non pas vis.

J’attends Suétone l’anecdotier ; et je me doute bien que l’esprit måle et judicieux qui l’a traduit et commenté aura pesé toutes ces anecdotes dans la balance de la raison.

On va jouer la Religieuse à Lyon ; cela vaut mieux sans doute que vingt-quatre pièces du raisonneur, et cependant… Ô qu’il fait bon venir à propos !

7977. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
27 juillet.

Sire, vous et le roi de la Chine vous êtes à présent les deux seuls souverains qui soient philosophes et poëtes. Je venais de lire un extrait de deux poëmes de l’empereur Kien-long[2], lorsque j’ai reçu la prose et les vers de Frédéric le Grand. Je vais d’abord à votre prose, dont le sujet intéresse tous les hommes, aussi bien que vous autres maîtres du monde. Vous voilà comme Marc-Aurèle, qui combattait par ses réflexions morales le système de Lucrèce.

J’avais déjà vu une petite réfutation[3] du Système de la Nature par un homme de mes amis. Il a eu le bonheur de se rencontrer plus d’une fois avec Votre Majesté : c’est bon signe quand un roi et un simple homme pensent de même ; leurs intérêts sont souvent si contraires que, quand ils se réunissent dans leurs idées, il faut bien qu’ils aient raison.

  1. Il y a vis comica dans les vers attribués à César, et rapportés tome XXVI, page 114.
  2. Éloge de la ville de Mouckden et de ses environs, poëme composé par Kien-long, empereur de la Chine et de la Tartarie, actuellement régnant ; on y a joint une pièce de vers sur le thé ; traduits en français par le Père Amyot, et publiés par M. de Guignes, 1770, in-8° ; voyez tome XXIX, page 452.
  3. Celle dont il est question dans une note sur la lettre 7975.