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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/233

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ANNÉE 1770.

dans la ville de M. le duc de Choiseul m’a fait passer par-dessus tout. Je sais bien que je n’habiterai pas cette maison ; mais Mme Denis en jouira, et je suis content. En attendant, je me flatte d’être encore assez heureux pour voir M. et Mme de Rochefort honorer Ferney de leur présence ; on ne peut finir plus agréablement sa carrière.

8049. — À M. LE MARQUIS DE VOYER D’ARGENSON[1].
À Ferney, 12 octobre.

Monsieur, je ne suis pas étonné qu’un maître de poste tel vous mène si bon train l’auteur du Système de la Nature ; il me paraît que les maîtres de poste de France ont bien de l’esprit. Vous avez daté votre lettre d’un château où il y en a plus qu’ailleurs, et c’est aussi la destinée du château des Ormes, où je me souviens d’avoir passé des jours bien agréables.

Je ne savais pas, quand je vous fis ma cour à Colmar, que vous étiez philosophe ; vous l’êtes, et de la bonne secte : je n’approche pas de vous, car je ne fais que douter. Vous souvenez-vous d’un certain Simonide à qui le roi Hiéron demandait ce qu’il pensait de tout cela ? il prit deux jours pour répondre, ensuite quatre, puis huit ; il doubla toujours, et mourut sans avoir eu un avis.

Il y a pourtant des vérités, et c’en est une peut-être de dire que les choses iront toujours leur train, quelque opinion qu’on ait ou qu’on feigne d’avoir sur Dieu, sur l’âme, sur la création, sur l’éternité de la matière, sur la nécessité, sur la liberté, sur la révélation, sur les miracles, etc., etc., etc.

Rien de tout cela ne fera payer les rescriptions, ni ne rétablira la compagnie des Indes. On raisonnera toujours sur l’autre monde ; mais sauve qui peut dans celui-ci !

L’ouvrage dont vous m’avez honoré, monsieur, me donne une grande estime pour son auteur, et un regret bien vif d’être si loin de lui. Ma vieillesse et mes maladies ne me permettent pas l’espérance de le revoir, mais je lui serai bien respectueusement attaché, à lui et à toute sa maison, jusqu’au dernier moment de ma vie.

  1. Marc-René, né en 1722, mort dans sa terre des Ormes le 18 septembre 1782.