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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/232

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CORRESPONDANCE.

ché, je le remercie, je suis pénétré de ses bontés pour le moment qui me reste : voilà de quoi je suis certain pour ces deux instants.

Mais pour l’éternité, cette affaire est un peu plus équivoque ; tout ce qui nous environne est l’empire du doute, et le doute est un état désagréable. Y a-t-il un Dieu tel qu’on le dit, une âme telle qu’on l’imagine, des relations telles qu’on les établit ? Y a-t-il quelque chose à espérer après le moment de la vie ? Gilimer, dépouillé de ses États, avait-il raison de se mettre à rire quand on le présenta devant Justinien ? et Caton avait-il raison de se tuer, de peur de voir César ? La gloire n’est-elle qu’une illusion ? Faut-il que Moustapha, dans la mollesse de son harem, faisant toutes les sottises possibles, ignorant, orgueilleux, et battu, soit plus heureux, s’il digère, qu’un héros philosophe qui ne digérerait pas ?

Tous les êtres sont-ils égaux devant le grand être qui anime la nature ? en ce cas, l’âme de Ravaillac serait à jamais égale à celle de Henri IV ; ou ni l’un ni l’autre n’aurait eu d’âme. Que le héros philosophe débrouille tout cela, car, pour moi, je n’y entends rien.

Je reste, du fond de mon chaos, pénétré de respect, de reconnaissance et d’attachement pour votre personne, et du néant de presque tout le reste.

8048. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT[1].
12 octobre.

Mon ombre a été consolée, égayée par M. d’Alembert et par M. de Condorcet pendant quinze jours. J’aurais bien dû me vanter de ma fortune à mes deux consolateurs du Vivarais, dont je regrettais plus que jamais la présence. Que Mme la philosophe Dixneufans nous aurait animés ! que monsieur le chef de brigade nous en aurait dit de bonnes ! Je ne peux plus écrire, tant je suis faible ; mais j’aurais pensé et senti.

M. d’Alembert est actuellement à Lyon, et s’achemine tout doucement en Provence.

Nous jetons enfin les fondements de Versoy ; nous y bâtissons, Mme Denis et moi, la première maison. Ce n’est pas que l’aventure des rescriptions[2] m’ait laissé le moyen de bâtir ; mais le zèle fait des efforts, et l’envie de mettre la première pierre

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Les mesures financières de l’abbé Terray.