Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Église abhorre le sang ! nous avons beaucoup d’émigrants dans le pays de Gex ; cela peuplera la colonie de M. le duc de Choiseul. On aligne aujourd’hui les rues de la ville qu’il fait bâtir. Je n’aurai pas la satisfaction de voir cette ville ; je suis dans toute la faiblesse de la décrépitude, et malade au lit ; mais mon cœur bat très-fortement pour vous, et sera à vous deux tant qu’il battra.

Le paquet que je vous avais envoyé il y a trois mois n’est pas le seul qui ait été perdu. Dieu soit béni !

Recevez la bénédiction du frère François.

7822. DE M. HENNIN[1].
À Genève, lundi 12 mars 1770.

Il m’a été impossible, monsieur, de répondre ce matin à votre dernière lettre ; mais je n’y répondrais jamais si j’attendais pour le faire que je cessasse d’en rire. Il est très-vrai que M. Philibert, comme il se faisait appeler à Paris, et non Cramer, est allé à Versailles pour prouver que le magnifique conseil a eu raison. Je crois que monsieur le duc l’écoutera avec bonté, et lui dira, en d’autres termes : Que m’importe ? Comme il me semble que ceux qui servent les grands princes doivent n’avoir d’autre politique que d’être vrais, j’ai dit à monsieur le conseiller que je lui donnais carte blanche pour me contredire, et que je lui permettais même de commencer sa harangue par dire : Le résident vous a trompé, etc. S’il me fait chapitrer, je croirai bien à son éloquence, car M. de Bournonville me marque que monsieur le duc a parlé avec éloge de ma conduite et de mon travail. L’orgueil ronge ce pays-ci ; le conseil veut soutenir son opération martiale. Il n’avait qu’à convenir bonnement qu’on lui avait forcé la main ; on l’aurait plaint.

Je me suis mis ces jours-ci dans une grosse colère de tous les propos qui couraient sur la France, sur monsieur le duc, sur vous, sur moi. J’ai dit : Messieurs, vous inventez des mensonges, vous les écrirez, on les imprimera, il faudra y répondre. Or, de tous ceux que vous impliquez dans vos bavardages, je ne connais que le seigneur de Ferney qui aime à faire gémir la presse, dont bien nous prend. Les autres ne sont pas rieurs, et s’il leur fallait imprimer, vous ne seriez pas contents de leur style. On m’a entendu, et on s’est donné le mot pour se taire. C’est tout ce que je demande.

Voilà notre colonie en bon train. Je vous en félicite. Vous voyez qu’il y a encore moyen de faire le bien dans notre drôle de patrie.

J’imagine aisément que vous avez payé à monsieur le duc le tribut d’éloges qu’il mérite. Puisse-t-il être assez heureux pour venir souper à l’hôtel de ville de Versoy entre vous et un ministre du saint Évangile.

Je ne sais, monsieur, quand je pourrai vous voir. Je n’ai pas besoin que

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin ; 1825.