Votre épître, mon cher confrère, est aussi philosophique qu’ingénieuse[1] ; elle est surtout d’un bon ami : vous avez raison sur tous les points, hors sur ce qui me regarde.
Je sais bien qu’il y aura toujours des gens qui feront la guerre à la raison, puisqu’en effet on a des soldats de robe longue payés uniquement pour servir contre elle ; mais on a beau faire, dès que cette étrangère a des asiles chez tous les honnêtes gens de l’Europe, son empire est assuré.
On peut longtemps, chez notre espèce,
Fermer la porte à la raison ;
Mais dès qu’elle entre avec adresse,
Elle reste dans la maison,
Et bientôt elle en est maîtresse.
Son ennemi perd de son crédit chaque jour, de Moscou jusqu’à Cadix. Les moines ne gouvernent plus, quoiqu’un moine soit devenu pape[2]. J’ai été très-fâché qu’on ait poussé trop loin la philosophie. Ce maudit livre du Système de la Nature est un péché contre nature. Je vous sais bien bon gré de réprouver l’athéisme, et d’aimer ce vers[3] :
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Je suis rarement content de mes vers, mais j’avoue que j’ai une tendresse de père pour celui-là.
Les ennemis des causes finales m’ont toujours paru plus hardis que raisonnables. S’ils rencontrent des chevilles et des trous, ils disent, sans hésiter, que les uns ont été faits pour les autres, et ils ne veulent pas que le soleil soit fait pour les planètes.
Vous faites trop d’honneur, mon cher confrère, aux rogatons alphabétiques que vous voulez lire[4]. Je tâcherai de vous les faire