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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/287

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ANNÉE 1770.

Agréez, illustre et respectable patriarche, les vœux que je fais pour votre conservation, c’est-à-dire pour la durée de votre gloire, et l’hommage de mon respect et de mon attachement.

8115. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
9 décembre 1770.

Il y avait longtemps, monsieur, que je n’avais reçu de vos nouvelles ; j’en espérais tous les jours, et j’étais arrêtée à vous en demander pour éviter que nos lettres se croisassent, surtout depuis la mort du président. Je ne doute pas de vos regrets, c’était un homme bien aimable ; mais depuis deux ans il ne restait plus de lui que sa représentation. Vous savez qu’il était devenu dévot, ou plutôt qu’il en avait embrassé l’état : son esprit n’était pas convaincu, ni son cœur n’était pas touché ; mais il remplaçait les plaisirs et les amusements, auxquels son âge le forçait de renoncer, par de certaines pratiques. La messe, le bréviaire, etc., toutes ces choses étaient pour lui comme la question : elles lui faisaient passer une heure ou deux. Son testament est de 1766 : il avait alors son bon sens. Il laisse à des paroisses, à des couvents, des legs peu considérables ; il traite fort bien ses domestiques : il donne ses manuscrits à Mme de Jonsac[2], fait des legs à ses petits-neveux, et le reste de son bien partagé selon la coutume. De ses amis il n’en parle point. L’état où il était depuis longtemps ne m’a pas donné le désir de vieillir. Il n’y a que vous, monsieur, à qui il appartient de ne le pas craindre ; votre âme userait trois ou quatre corps. Pour la mienne, elle n’est pas de même ; je me figure que, si je vis encore quelques années, je deviendrai comme le président, et certainement il vaut mieux finir que d’exister de cette sorte.

Savez-vous, monsieur, que je suis un peu en colère contre vous ; j’ai lu votre lettre à la grand’maman, comme je vous l’ai déjà mandé. Vous ne me croyez donc plus amusable, et vous dites qu’il faut prendre son temps avec moi ? C’est bien à vous de parler ainsi, vous qui êtes (comme vous me l’écrivez) le plus ancien de mes amis ! On ne m’accuse point d’être inconstante, et si on me faisait cette injustice, vous me serviriez à la réfuter ; je suis très-amusable ; et je le suis toujours par ce qui me vient de vous. Votre épître au roi de la Chine me plaît infiniment.

Vous ne devineriez jamais combien j’ai de volumes de vous ; j’en ai cent neuf, et je crains de n’avoir pas tout, il y en a une grande quantité de doubles ; j’aurai ces jours-ci un libraire pour vous compléter, et pour plus grande sûreté je vous en enverrai après le catalogue, pour que vous me disiez ce qui me manque.

J’ai le malheur, je l’avoue, de n’être pas amusable par les beaux génies

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.
  2. Née Colbert de Seignelay, nièce du président Hénault, et mariée au comte de Jonsac, frère du maréchal d’Aubeterre.