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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/349

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ANNÉE 1770.

sera celui du bon goût et des lettres. Vivez donc, vivez, et rajeunissez, s’il est possible : ce sont les vœux de toutes les personnes qui s’intéressent à la belle littérature, et principalement les miens.

8191. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Rome, le… janvier.

Je ne suis ni cruel ni barbare, mon cher confrère ; mais je ne veux pas donner à vos horlogers des correspondants infidèles. Le commerce n’existe pas à Rome. Notre consul n’oserait vous indiquer un seul marchand dont il pût répondre. Je vous ai déjà fait part des motifs de mon silence : la négligence ni l’oubli n’y ont eu aucune part. Je sais qu’on a parlé de moi. Je suis très-flatté que le public y pense encore ; mais je m’estime très-heureux de ce que la cour n’y pense point du tout. Continuez à prouver que vous êtes véritablement philosophe par votre bonne santé. Vous l’avez prouvé par vos écrits. Vous savez, mon cher confrère, que je vous aime presque autant que je vous admire.

Je viens de recevoir votre lettre plus douce du 11.

8192. — À MADAME LA MARQUISE D’ARGENS.
À Ferney, 1er février.

Madame, vous ne pouviez confier vos sentiments et vos regrets à un cœur plus fait pour les recevoir et pour les partager. Mon âge de soixante-dix-huit ans, les maladies dont je suis accablé, et le climat très-rude que j’habite, tout m’annonce que je verrai bientôt le digne mari que vous pleurez[1].

Je fus bien affligé qu’il ne prît point sa route par Ferney, quand il partit de Dijon ; et, par une fatalité singulière, ce fut le roi de Prusse qui m’apprit la perte que vous avez faite. Je ne crois pas qu’il eût en France un ami plus constant que moi. Mon attachement et mon estime augmentaient encore par les traits que frère Berthier et d’autres polissons fanatiques lançaient continuellement contre lui. Les ouvrages de ces pédants de collège sont tombés dans un éternel oubli, et son mérite restera. C’était un philosophe gai, sensible et vertueux. Ses ennemis n’étaient que des dévots, et vous savez combien un dévot est loin d’un homme de bien. Son nom sera consacré à la postérité par le roi de Prusse et par vous. Voilà les deux ornements de son buste.

  1. Le marquis d’Argens est mort le 11 janvier 1771.