Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
359
ANNÉE 1771.

de douleur le lendemain avec sa femme et sa fille, pour avoir vendu, dans Paris, une mauvaise comédie intitulée la Vestale, laquelle avait été imprimée avec une permission tacite ?

Ne vous souvient-il plus qu’un des plus horribles crimes mentionnés dans le procès du chevalier de La Barre était d’avoir, dans son cabinet, des livres qu’on appelle défendus ? ce qui, joint à l’abomination de n’avoir pas ôté son chapeau pendant la pluie devant une procession de capucins, engagea les tuteurs des rois à lui faire couper le poing, à lui arracher la langue, et à faire jeter dans les flammes sa tête d’un côté et son corps de l’autre ?

Ne saviez-vous pas, mon héros, que, parmi ces Welches pour lesquels vous avez combattu sous Louis XIV et sous Louis XV pendant soixante ans, il y a des tigres acharnés à dévorer les hommes, comme il y a des singes occupés à faire la culbute ?

J’ai été assez persécuté, je veux mourir tranquille. Dieu merci, je ne fais point de livres, puisqu’il est si dangereux d’en faire. J’achève ma vie au pied du mont Jura, et j’irai mourir au pied du Caucase, si on me persécute encore. J’eusse aimé mieux rire avec vous à Richelieu ; mais mon héros est incapable de porter la philosophie jusque-là. Il sera dans le tourbillon jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans, comme le duc d’Épernon, qui ne le valait pas. Il faut que chaque individu remplisse sa destinée.

Je vous remercie très-tendrement d’avoir favorisé M. Gaillard[1], qui en est digne.

Je crois votre goutte aussi légère que votre brillante imagination. Il n’est pas possible que, vous étant baigné presque tous les jours, l’accès soit bien violent et bien douloureux. La mienne est peu de chose aussi ; mais mes yeux, mes yeux, voilà ce qui m’accable. Je ne conçois pas comment Mme du Deffant peut être si gaie et si sémillante après avoir perdu la vue. Dieu vous conserve vos deux yeux, qui ont été tant lorgneurs et tant lorgnés ! Dieu vous conserve tout le reste ! Ne grondez plus votre vieux serviteur, qui assurément ne le mérite pas.

Vous souvenez-vous de Couratin, qui avait toujours tort avec vous, quelque chose qu’il fit ?

Permettez-moi de me mettre aux pieds de Mme la comtesse d’Egmont[2].

Le vieil Ermite.
  1. Pour la place à l’Académie française.
  2. Fille du maréchal de Richelieu.