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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/398

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CORRESPONDANCE.

chefort devait être un Hercule, qu’il devait réparer l’honneur de la plupart des races d’aujourd’hui, qui ne sont que des pygmées, et qu’il vivrait l’âge d’un patriarche. Le voilà mort à l’entrée de la vie ! Je mêle mes regrets aux vôtres. Vous avez, M. de Rochefort et vous, de quoi vous consoler, et vous êtes tous les deux dans l’âge des plus belles espérances.

Je ne vous ai point fait mon compliment sur la place de lieutenant des gardes ; mais vous savez que je m’intéresse à tous les événements de votre vie. La mienne est un peu triste ; je meurs en détail : c’est en général le sort des gens de mon âge. Mais jusqu’au dernier moment, j’aurai pour vous le plus tendre respect, et je prendrai la liberté de vous aimer comme si j’étais jeune.

Le vieux malade de Ferney.
8245. — DE CATHERINE II,
impératrice de russie.[1]
Pétersbourg, 3-14 mars 1771.

Monsieur, en lisant votre Encyclopédie, je répétais ce que j’ai dit mille fois : qu’avant vous personne n’écrivit comme vous, et qu’il est très-douteux si après vous jamais quelqu’un vous égalera. C’est dans ces réflexions que me trouvèrent vos deux dernières lettres du 22 janvier et du 8 février[2].

Vous jugez bien, monsieur, du plaisir qu’elles m’ont fait. Vos vers et votre prose ne seront jamais surpassés : je les regarde comme le non plus ultra, et je m’y tiens. Quand on vous a lu, l’on voudrait vous relire, et l’on est dégoûté des autres lectures.

Puisque la fête que j’ai donnée au prince Henri a eu votre approbation, je m’en vais la croire belle : avant celle-là je lui en avais donné une à la campagne, où les bouts de chandelles et les fusées avaient eu leur place, mais où il n’y eut personne de blessé ; les précautions avaient été bien prises. Les horreurs arrivées à Paris[3] nous ont rendus sages. Outre cela, je ne me souviens pas d’avoir vu, depuis bien longtemps, un carnaval plus animé : depuis le mois d’octobre jusqu’au mois de février, il n’y a eu que fêtes, danses, spectacles.

Je ne sais si c’est la campagne passée qui me l’a fait paraître tel, ou bien si véritablement la joie régnait chez nous. J’apprends qu’il n’en est pas de même partout, quoiqu’on jouisse de la douceur d’une paix non interrompue

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances, etc., publiée par la Société impériale de l’histoire de Russie, tome XV, page 67.
  2. Il y a une lettre du 9 février ; il n’y en a pas du 8.
  3. Le 30 mai 1770, aux fêtes du mariage de Marie-Antoinette avec le dauphin, depuis Louis XVI.