il faut supporter tous les maux du corps et de l’âme. Pour me consoler, je vous demande en grâce de m’envoyer vos deux discours[1]. En vérité, vous soutenez seul l’honneur des lettres, et je ne sais point d’homme plus nécessaire que vous.
Quels agréments, quel feu tu possèdes encore !
Le couchant de tes jours surpasse leur aurore.
Quand l’âge injurieux mine et glace nos sens,
Nous perdons les plaisirs, les grâces, les talents :
Mais l’âge a respecté ta voix douce et légère ;
Pour le malheur des sots il fit grâce à Voltaire[3].
Ce petit compliment vous est dû, ou, pour mieux dire, c’est une merveille qui étonne l’Europe, ce sera un problème que la postérité aura peine à résoudre, que Voltaire, chargé de jours et d’années, a plus de feu, de gaieté, de génie, que cette foule de jeunes poëtes dont votre patrie abonde.
Votre impératrice sera sans doute flattée de l’épître que vous lui adressez[4]. Il est constant que ce sont des vérités ; mais il n’est donné qu’à vous de les rendre avec autant de grâces. J’ai été fort surpris de me voir cité[5] dans vos vers certes je ne présumais pas de devenir un auteur grave. Mon amour-propre vous en fait ses compliments. J’aurai bonne opinion de mes rapsodies tant que je les verrai enchassées dans les cadres que vous leur savez si bien faire.
J’en viens à ce Moustapha que je n’aime pas plus que de raison ; je ne m’oppose point à toutes les prétentions que vous pouvez former à son sérail ; je crois même que, Constantinople pris, votre impératrice pourra vous faire la galanterie de transporter le harem de Stamboul à Ferney pour votre usage. Il paraît cependant qu’il serait plus digne de ma chère alliée de donner la paix à l’Europe que d’allumer un embrasement général. Sans doute que cette paix se fera, que Moustapha en payera la façon : et la Grèce deviendra ce qu’elle pourra.
On se dit à l’oreille que la France a suscité ces troubles. On impute cette imprudente levée de boucliers des Ottomans aux intrigues d’un ministre
- ↑ Je ne sais ce que sont ces deux discours de d’Alembert, dont il est encore question dans la lettre 8263. (B.)
- ↑ Le 18 mars. (ŒEuvres posthumes.)
- ↑ Variante des Œuvres posthumes :
Mais surchargé d’hivers, Voltaire est, à l’entendre,
Tel qu’on dit le phénix, qui renaît de sa cendre. - ↑ Voyez tome X, page 435.
- ↑ Vers 55 de l’Épître à Catherine, tome X, page 437.