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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/421

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ANNÉE 1771.

je vous cite au roi de Suède comme mon protecteur. Quiconque est en France actuellement doit regretter Sans-Souci ; nous n’avons que des tracasseries, beaucoup de discorde, peu de gloire, et point d’argent. Cependant le fonds du royaume est très-bon, et si bon, qu’après les peines qu’on a prises pour le détériorer, on n’a pu en venir à bout. C’est un malade d’un tempérament excellent, qui a résisté à plus de trente mauvais médecins : Votre Majesté prouve qu’il n’en faut qu’un bon.

Je ne sais si je me doute de ce que Votre Majesté fera cette année ; mais Dieu, qui m’a refusé le don de prophétie, ne me permet pas de deviner ce que fera l’empereur. Je connais des gens qui, à sa place, pousseraient par delà Belgrade, et qui s’arrondiraient, attendu qu’en philosophie la figure ronde est la plus parfaite. Mais je crains de dire des sottises trop pointues, et je me borne à me mettre aux pieds de Votre Majesté du fond de mon tombeau de neige, dans lequel je suis aveugle comme Milton, mais non pas aussi fanatique que lui. Je n’ai nul goût pour un énergumène qui parle toujours du Messie et du diable ; moi, je parle de mon héros.

8266. — À M. LE MARQUIS D’OSSUN[1].
13 avril 1771, à Ferney.

Monsieur, une longue maladie, effet très-naturel de mon âge et du climat que j’habite, m’a privé du plaisir de vous remercier de toutes vos bontés. La retraite de M. le duc de Choiseul n’a pas laissé plus de santé à la ville de Versoy qu’il voulait bâtir, et à ma colonie, qu’à moi-même.

Nous sommes tous très-malades ; mais j’espère que l’État se portera bien, malgré la prodigieuse quantité de médecins qui se présentent pour le traiter. Il paraît que le roi, qui est meilleur médecin qu’eux, a entrepris sa cure et qu’il y réussira[2].

Il ne m’appartient pas de dire des nouvelles à Votre Excellence ; elle sait mieux que moi celles de la France et de l’Europe ; permettez-moi seulement de vous en dire une, digne de la générosité espagnole et de la galanterie française ; je la tiens de la propre main de l’impératrice de Russie.

Le comte Alexis Orlof, ayant pris un vaisseau dans lequel étaient toute la famille, les domestiques et les effets d’un bacha,

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Il n’y a dans l’édition Beuchot que ces deux premiers alinéas.