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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/422

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CORRESPONDANCE.

les lui avait renvoyés à Constantinople. Ce bacha, se trouvant en dernier lieu dans l’armée du grand vizir, un officier russe y vint pour traiter de l’échange de quelques prisonniers. Le bacha lui remit sans rançon tous ceux qui lui appartenaient, le combla de présents et le pria d’assurer le comte Orlof qu’il serait toute sa vie son serviteur, son admirateur et son frère.

Quand je songe que cet empire russe est né de mon temps, et que je suis beaucoup plus vieux que Pétersbourg, je ne reviens point de ma surprise ! C’est encore un des sujets de mon étonnement que l’impératrice ne manque d’argent ni pour une guerre si dispendieuse, ni pour les fêtes qu’elle a données au prince Henri de Prusse. Cette princesse daigne accepter des montres de ma colonie, ainsi que M. le comte d’Aranda ; mais je n’en envoie point au sultan Moustapha, à qui les heures doivent paraître bien longues.

J’ai l’honneur d’être, avec un respect égal à ma reconnaissance, etc.

8267. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
17 avril.

Mon cher ange, votre lettre est un vrai poisson d’avril, car elle est datée du 1er, et je ne l’ai reçue que le 14. Il faut qu’elle ait été égarée dans les bureaux de M. Bertin.

Je vous dirai, au sujet de vos remarques sur Sophonisbe, comme M. Vigouroux : « Si je meurs, je les passe ; si je vis, à revoir. » Je suis aveugle et très-malade, et je ne crois pas qu’il me soit possible de faire encore beaucoup de tragédies. Il faut pourtant vous avouer, avec la sincérité d’un mourant, que je n’ai jamais conçu pourquoi la dernière épée du bonhomme Syphax vous déplaisait tant, après que la première épée de Rodrigue ne vous a jamais déplu. Pour moi, je tiens qu’il n’y aurait plus moyen de faire des vers, si des métaphores aussi simples, aussi claires, n’étaient pas permises.

À l’égard des Pelopides, il y a plus d’un mois que je ne les ai regardés, et je ne les reverrai qu’en cas que la nature me rende la vue et la vie.

Est-ce l’abbé Grizel qui a fait banqueroute à Lekain ? Je le plains infiniment, mais je ne puis le mettre sur mon testament, attendu que monsieur le contrôleur général d’un côté, et ma colonie de l’autre, m’ont absolument ruiné. S’il a perdu vingt mille francs, j’en ai perdu plus de quatre cent mille, ou du moins ils sont pro-