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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/426

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CORRESPONDANCE.

Je ne connais rien d’égal à la plate folie d’avoir soutenu au roi, opiniâtrément, qu’un pair était entaché[1], quand le roi le déclarait très-net, sur le vu même des pièces du procès. C’était, ce me semble, vouloir entacher le roi lui-même ; et toute cette aventure m’a paru celle des Petites-Maisons, plutôt que celle d’un parlement.

Franchement, nous sommes une nation d’enfants mutins à qui il faut donner le fouet et des sucreries.

La fermentation est aussi forte dans les provinces qu’à Paris, et ne produira, vraisemblablement que des arrêtés qui ne subsisteront pas, et des protestations très-inutiles, sans quoi la France serait la fable de l’Europe.

J’avais deux neveux, l’un vient de prendre la place de l’autre dans le parlement de Paris ; cela me fait rire, et je ris de tout ceci parce que je ne crois pas que cette maladie de la nation soit mortelle. Ses symptômes sont des vertiges qu’il faut faire guérir par M. Pomme[2].

Il y a une maladie plus triste, c’est celle que M. l’abbé Terray ne peut guérir ; elle m’a rendu paralytique. J’avais établi une colonie assez considérable dans mon hameau, et on commençait à prendre mon hameau pour une petite ville ; il y avait des manufactures sous la protection de M. de Choiseul : tout cela est presque détruit en un jour. Les petits pâtissent du malheur des grands, et quelquefois même de leur bonheur. Je ne pourrai plus donner de pension aux conseillers du parlement[3], comme j’avais l’insolence de faire. Pour le roi, il ne me donne point de pension, et je l’en quitte.

Si j’osais, je penserais comme mon héros, et je dirais qu’une statue vaut mieux qu’une pension. Mais à mon âge, et dans l’état où je suis, cela me paraît un peu frivole.

Mon tendre et respectueux attachement pour vous vous paraîtra peut-être un peu frivole aussi ; mais agréez les sentiments d’un cœur qui est à vous depuis cinquante années.

À propos, on m’a envoyé la réponse au mémoire des états de Bourgogne. Les accusations me paraissent absurdes. Le duc de Sully avait bien raison de dire que si la sagesse venait au monde, elle ne se logerait jamais dans une compagnie.

  1. Voyez la note, tome XXVIII, page 382.
  2. À qui est adressée la lettre 8316.
  3. Voltaire faisait à son petit-neveu d’Hornoy une pension.