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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/432

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CORRESPONDANCE.

suis le doyen de tous ceux qui vous ont été attachés ; je suis même le seul qui vous reste de vos anciens serviteurs ; je dois hériter d’eux je réclame mes droits pour le moment qui me reste.

8277. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 6 mai.

Madame, je me ferai donc porter en litière à Taganrog, puisque le climat est si doux ; mais je crois que l’air de votre cour serait beaucoup plus sain pour moi. J’aurai le plaisir de ne mourir ni à la grecque ni à la romaine. Votre Majesté impériale permet que chacun s’embarque pour l’autre monde selon sa fantaisie. On ne me proposera point de billet de confession.

Mais je n’irai point à Nipchou ; ce n’est pas là qu’on rencontre des Chinois de bonne compagnie ; ils sont tous occupés dans Pékin à transcrire les vers du roi de la Chine en trente-deux caractères.

Je soupçonne vos chers voisins orientaux d’être fort peu instruits, très-vains, et un peu fripons ; mais vos autres voisins les Turcs sont plus ignorants et plus vains. On les dit moins fripons, parce qu’ils sont plus riches.

Je crois que vos troupes battraient plus aisément encore les suivants de Confucius que ceux de Mahomet.

Je mets à vos pieds le quatrième et le cinquième tome des Questions sur l’Encyclopédie ; je ne puis m’empêcher d’y parler de temps en temps de mon gros Moustapha ; et, tandis que vos braves troupes prennent des villes et chassent les janissaires, je prends la liberté de donner quelques croquignoles à leur maître, en me couvrant de votre égide.

Je suis persuadé que le grand poëte Kien-long n’aurait pas violé le droit des gens dans la personne de votre ministre[1]. On dit que le grand sultan le tient toujours prisonnier, comme s’il l’avait pris à la guerre. J’espère qu’il sera délivré à la première bataille.

Mon étonnement est toujours que les princes et les républiques de la religion de Christ souffrent tranquillement les affronts que leurs ambassadeurs essuient à la Porte ottomane, eux qui sont souvent si pointilleux sur ce qu’on appelle le point d’honneur.

  1. D’Obreskoff ; voyez tome XXVIII, pages 365, 410, 467.