Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
429
ANNÉE 1771.

les maîtres. Je ne dois pas assurément aimer ceux qui devaient me jouer un mauvais tour au mois de janvier[1], ceux qui versaient le sang de l’innocence, ceux qui portaient la barbarie dans le centre de la politesse ; ceux qui, uniquement occupés de leur sotte vanité, laissaient agir leur cruauté sans scrupule, tantôt en immolant Calas sur la roue, tantôt en faisant expirer dans les supplices, après la torture, un jeune gentilhomme[2] qui méritait six mois de Saint-Lazare, et qui aurait mieux valu qu’eux tous. Ils ont bravé l’Europe entière, indignée de cette inhumanité ; ils ont traîné dans un tombereau, avec un bâillon dans la bouche, un lieutenant général justement haï à la vérité, mais dont l’innocence m’est démontrée par les pièces mêmes du procès. Je pourrais produire vingt barbaries pareilles, et les rendre exécrables à la postérité. J’aurais mieux aimé mourir dans le canton de Zug ou chez les Samoyèdes que de dépendre de tels compatriotes. Il n’a tenu qu’à moi autrefois d’être leur confrère ; mais je n’aurais jamais pensé comme eux.

Je vous ouvre, madame, un cœur qui ne sait rien dissimuler, et qui est cent fois plus touché de vos bontés qu’ulcéré de leurs injustices atroces et de leur despotisme insupportable.

Je ne me flatte pas, madame, que les circonstances où nous sommes, vous et moi, vous permettent de m’écrire. Il est vrai que si vous me faites dire un mot par votre petite-fille[3], je mourrai plus content ; mais si vous gardez le silence, je n’en serai pas moins à vos pieds ; je ne vous serai pas moins dévoué avec une reconnaissance aussi vive que respectueuse.

8284. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
15 mai.

Permettez, madame, que j’ajoute un petit codicille à mon testament, et que je vous explique les étrennes qu’on voulait me donner au mois de janvier dernier.

M. Seguier, après la réception que le public lui avait faite à l’Académie française, se mit à voyager. Il vint chez moi, et me dit que plusieurs conseillers du parlement le pressaient de dénoncer l’histoire de ce corps, imprimée, dit on, il y a deux ans ; qu’il ne pourrait s’empêcher à la fin de remplir son ministère ;

  1. Voyez lettre 8284.
  2. Le chevalier de La Barre.
  3. Mme du Deffant.