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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/443

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ANNÉE 1771.

Je bénis le ciel de mon incapacité ; elle me dispense de m’occuper de tout ce qui se passe. Je suis sourde et muette, ce qui, joint à l’aveuglement, me rend, comme vous pouvez juger, d’une agréable société.

Ah ! c’est bien moi, mon cher Voltaire, qui regrette de ne vous pas voir ; mais si vous étiez ici, je n’y gagnerais rien ; vous me préféreriez vos nouvelles connaissances. Vous avez beau dire, Dieu fait tout pour le mieux. La fable de Jupiter et du métayer est une de mes favorites. À propos de fables, connaissez-vous celles de M. de Nivernois ? J’en ai entendu qui m’ont paru jolies. Vous a-t-on envoyé la Rivalité de la France et de l’Angleterre, par M. Gaillard ? Dites-m’en votre avis. Adieu, je vous quitte pour écrire à la grand’maman ; je lui envoie votre lettre ; elle lui confirmera la continuation de vos sentiments pour elle et pour son mari. Ils méritent l’un et l’autre l’estime et l’attachement du public, et surtout de vous et de moi : c’est là ce qui fonde le plus notre fraternité.

8288. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
20 mai.

Si mon héros ne peut deviner comment cette pétaudière se terminera, il n’y a pas d’apparence qu’un vieil aveugle entrevoie ce que le vice-roi d’Aquitaine ne voit point. Je juge seulement, à vue de pays, que notre nation a été toujours légère, quelquefois très-cruelle ; qu’elle n’a jamais su se gouverner par elle-même, et qu’elle n’est pas trop digne d’être libre. J’ajouterai encore que j’aimerais mieux, malgré mon goût extrême pour la liberté, vivre sous la patte d’un lion que d’être continuellement exposé aux dents d’un millier de rats mes confrères.

On m’envoie une seconde édition beaucoup plus ample de la brochure des Peuples aux parlements[1]. Monseigneur voudra bien que je lui en fasse part. Elle produit quelque effet dans la province ; ce n’est pas une raison pour qu’elle réussisse à Paris : cependant tous les faits en sont vrais.

Je sais très-bon gré à l’auteur d’avoir donné hardiment tant d’éloges à M. le duc de Choiseul ; il a les plus grandes obligations à ce ministre.

M. le duc de Choiseul a favorisé sa colonie, a fait donner des priviléges étonnants à sa petite terre ; il lui a accordé sur-le-champ toutes les grâces que ce solitaire lui a demandées pour les autres : places, argent, privilèges, rien ne lui a coûté ; et la dernière grâce qu’il a signée a été une patente de brigadier pour

  1. Tome XXVIII, page 413.