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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/467

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ANNÉE 1771.

mont Jura. Pourvu qu’on soit à l’abri du vent du nord à Taganrog, je suis content.

J’apprends dans ce moment que ma colonie vient de faire partir encore une énorme caisse de montres. J’ai extrêmement grondé ces pauvres artistes ; ils ont trop abusé de vos bontés ; l’émulation les a fait aller trop loin. Au lieu d’envoyer des montres pour trois ou quatre milliers de roubles tout au plus, comme je le leur avais expressément recommandé, ils en ont envoyé pour environ huit mille cela est très-indiscret. Je ne crois pas que Votre Majesté ait intention de donner tant de montres aux Turcs, quoiqu’ils les aiment beaucoup ; mais voici, madame, ce que vous pouvez faire. Il y en a de très-belles avec votre portrait, et aucune n’est chère. Vous pouvez en prendre pour trois à quatre mille roubles, qui serviront à faire vos présents, composés de montres depuis environ quinze roubles jusqu’à quarante ou cinquante ; le reste pourrait être abandonné à vos marchands, qui pourraient y trouver un très-grand profit.

Je prends la liberté surtout de vous prier, madame, de ne point faire payer sur-le-champ la somme de trente-neuf mille deux cent trente-huit livres de France à quoi se monte le total des deux envois. Vous devez d’ailleurs faire des dépenses si énormes qu’il faut absolument mettre un frein à votre générosité. Quand on ferait attendre un an mes colons pour la moitié de ce qu’ils ont fourni, je les tiendrais trop heureux, et je me chargerais bien de leur faire prendre patience.

Au reste ils m’assurent, et plusieurs connaisseurs m’ont dit, que tous ces ouvrages sont à beaucoup meilleur marché qu’à Genève, et à plus d’un grand tiers au-dessous du prix de Londres et de Paris. On dit même qu’ils seraient vendus à Pétersbourg le double de la facture qu’on trouvera dans les caisses, ce qui est aisé à faire examiner par des hommes intelligents.

Si Votre Majesté était contente de ces envois et des prix, mes fabricants disent qu’ils exécuteraient tout ce que vous leur feriez commander. Ce serait un détachement de la colonie de Saratof, établi à Ferney en attendant que je le menasse à Taganrog[1]. J’aurais mieux aimé qu’ils vous eussent envoyé quelques carillons pour Sainte-Sophie ou pour la mosquée d’Achmet ; mais puisque vous n’avez pas voulu cette fois-ci vous emparer du Bosphore, le Grand Turc et son grand vizir seront trop honorés de

  1. Voyez tome XLVI, page 341.