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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/537

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ANNÉE 1771.

En vérité, ce fameux XVIIIe siècle a bien là de quoi se glorifier ! nous voilà devenus bien sages ! Mais ce n’est pas à vous à qui il faut parler sur cette matière vous connaissez trop les hommes pour vous étonner des contradictions et des singularités dont ils sont capables ; suffit de lire vos Questions sur l’Encyclopédie pour être persuadé de la profonde connaissance que vous avez de l’esprit et du cœur des humains.

Je vous dois mille remerciements de la mention que vous voulez bien faire de moi dans mille endroits de ce livre, où je suis étonnée d’y trouver très-souvent mon nom à la fin d’une phrase où je l’attendais le moins[1].

J’espère, monsieur, que vous aurez reçu, à l’heure qu’il est, la lettre de change pour le payement des fabricants qui m’ont envoyé leurs montres.

La nouvelle du combat naval donné à Lemnos est fausse. Le comte Orlof était encore à Paros le 24 de juillet, et la flotte turque n’ose montrer ses beaux yeux en deçà des Dardanelles. Votre lettre[2] au sujet de ce combat est unique. Je sens, comme je dois, toutes les marques d’amitié qu’il vous plaît de me donner, et je vous ai les plus grandes obligations pour vos charmantes lettres.

J’ai trouvé dans les Questions sur l’Encyclopédie, si remplies de choses aussi excellentes que nouvelles, à l’article Économie publique, page 61 de la cinquième partie, ces paroles : « Donnez à la Sibérie et au Kamtschatka réunis, qui font quatre fois l’étendue de l’Allemagne, un Cyrus pour souverain, un Solon pour législateur, etc., un duc de Sully, un Colbert pour surintendant des finances, un duc de Choiseul pour ministre de la guerre et de la paix, un Anson pour amiral ; ils y mourront de faim avec tout leur génie. »

Je vous abandonne tout le pays de la Sibérie et du Kamtschatka, qui est situé au delà du soixante-troisième degré ; en revanche, permettez que je plaide chez vous la cause de tout le terrain qui se trouve entre le soixante-troisième et le quarante-cinquième degré il manque d’hommes, et, en proportion de son étendue, de vins ; mais aussi non-seulement il est cultivable, mais même très-fertile. Les blés y viennent en si grande abondance qu’outre la consommation des habitants il y a des brasseries immenses d’eau-de-vie ; et il en reste encore assez pour en mener par terre en hiver, et par les rivières en été, jusqu’à Archangel, d’où on l’envoie dans les pays étrangers. Et peut-être en a-t-on mangé plus d’une fois à Paris, en disant que les blés ne mûrissent jamais en Sibérie.

Les animaux domestiques, le gibier, les poissons, se trouvent en grande abondance dans ces climats, et il y en a d’excellents qu’on ignore dans les autres pays de l’Europe.

Généralement les productions de la nature en Sibérie sont d’une richesse extraordinaire : témoin la grande quantité de mines de fer, de cuivre, d’or, d’argent, les carrières d’agates de toutes couleurs, de jaspe, de cristaux, de marbre, de talc, etc., qu’on y trouve.

  1. Catherine veut sans doute parler de l’article Gloire, où Voltaire fait son éloge ; voyez tome XIX, page 266.
  2. Lettre 8370