péché originel. Le péché de ces pauvres serfs, au nombre de plus de cent mille dans le royaume, est que leurs pères, laboureurs gaulois, ne tuèrent pas le petit nombre de barbares visigoths, ou bourguignons, ou francs, qui vinrent les tuer et les voler. S’ils s’étaient défendus comme les Romains contre les Cimbres, il n’y aurait pas aujourd’hui de procès pour la mainmorte. Ceux qui jouissent de ce beau droit assurent qu’il est de droit divin ; je le crois comme eux, car assurément il n’est pas humain. Je vous avoue, monsieur, que j’y renonce de tout mon cœur ; je ne veux ni mainmorte, ni échute, dans le petit coin de terre que j’habite ; je ne veux ni être serf ni avoir des serfs. J’aime fort l’édit de Henri II, adopté par le parlement de Paris : pourquoi n’est-il pas reçu dans tous les autres parlements ? Presque toute notre ancienne jurisprudence est ridicule, barbare, contradictoire. Ce qui est vrai en deçà de mon ruisseau est faux au delà[1]. Toutes nos coutumes ne sont bonnes qu’à jeter au feu. Il n’y a qu’une loi et qu’une mesure en Angleterre.
Vous citez l’Esprit des lois. Hélas ! il n’a remédié et ne remédiera jamais à rien. Ce n’est pas parce qu’il cite faux trop souvent, ce n’est pas parce qu’il songe presque toujours à montrer de l’esprit, c’est parce qu’il n’y a qu’un roi qui puisse faire un bon livre sur les lois, en les changeant toutes. Agréez, monsieur, mes remerciements, etc.
Monsieur de Voltaire, c’est avec le plus grand plaisir que je réponds à votre lettre du 3 du courant[2]. Votre voix doit être assurément distinguée entre toutes celles qui m’ont parlé depuis le 3 novembre dernier[3]. Vous trouverez bon cependant que je ne convienne pas de la comparaison que vous vous donnez. Celui dont la voix criait dans le désert annonçait quelqu’un de plus grand que lui, et c’est ce que vous ne sauriez faire. Mais si l’intérêt le plus constant de ma part à votre conservation et à votre gloire mérite de la reconnaissance, il est vrai que vous m’en devez. Je suis bien véritablement, monsieur, votre très-affectionné,