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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/120

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CORRESPONDANCE.

c’est cette considération qui a principalement déterminé votre cœur bienfaisant à me favoriser.

Je n’ose vous adresser de nouveaux paquets sans votre permission ; je me flatte que vous ne cesserez pas de protéger mon établissement, qui n’a subsisté que par les grâces de M. le duc de Choiseul et par les vôtres. J’ai l’honneur d’être, avec la reconnaissance la plus inviolable et la plus respectueuse, votre, etc.

8358. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 8 juin.

Mon héros daigne me mander qu’il va dans son royaume d’Aquitaine. Il y est donc déjà car mon héros est comme les dieux d’Homère, il va fort vite, et sûrement il est arrivé au moment que j’ai l’honneur de lui écrire. Il a d’autres affaires que celle des Lois de Minos : il est occupé de celles de Louis XV.

Je commence par lui jurer, s’il a un moment de loisir, qu’il n’y a pas un mot à changer dans tout ce que je lui ai écrit touchant la Crète ; et si M. d’Argental lui a donné une très-mauvaise défaite, ce n’est pas ma faute. Pourquoi mentir sur des bagatelles ? il ne faut mentir que quand il s’agit d’une couronne ou de sa maîtresse.

Je n’ai point de nouvelles de la Russie : vous pensez bien, monseigneur, qu’on ne m’écrit pas toutes les postes. Ce que je vous ai proposé est seulement d’une bonne âme : je ne cherche point du tout à me faire valoir. Il se pourrait même très-bien que l’on se piquât d’en agir noblement sans en être prié ; comme fit l’impératrice Anne à la belle équipée du cardinal de Fleury, qui avait envoyé quinze cents Français contre dix mille Russes, pour faire semblant de secourir l’autre roi Stanislas. Ma destinée est toujours d’être un peu enfoncé dans le Nord. Vous vous en apercevrez quand vous daignerez lire quelques endroits des Lois de Minos. Vous verrez bien que le roi de Crète, Teucer, est le roi de Pologne Stanislas-Auguste Poniatowski, et que le grand prêtre est l’évêque de Cracovie ; comme aussi vous pourrez prendre le temple de Gortine pour l’église de Notre-Dame de Czenstochova.

J’ai donc la hardiesse de vous envoyer cette facétie, à condition que vous ne la lirez que quand vous n’aurez absolument rien à faire. Vous savez bien qu’Horace, en envoyant des vers à Auguste, dit au porteur : Prends bien garde de ne les présenter que quand il sera de loisir et de bonne humeur.