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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/131

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M. Marmontel vous a-t-il montré les Systèmes ? Quel profane a si cruellement estropié les Cabales ?

C’était un bizarre effet de la destinée, qui préside au petit comme au grand, qu’on travaillât en même temps à Paris et à Ferney au sujet des Druides[1], sous des noms différents, et qu’on fit les mêmes difficultés à ces deux ouvrages.

Il faut que les Français écrivent, et que l’étranger les imprime.

Le parti est pris d’écraser les lettres.

Tenez-vous bien. Adieu, Platon ; vivez chez vos barbares.

8570. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 4 juillet.

Mon héros, je reçois de votre grâce une lettre qui m’enchante. Elle me fait voir qu’au bout de cinquante ans vous avez daigné enfin me prendre sérieusement. Je vois que notre doyen, quand il veut s’en donner la peine, est le véritable protecteur des lettres ; mais ce que vous avez la bonté de me dire sur la perte que vous avez faite a pénétré mon cœur. J’avais déjà pris la liberté de vous ouvrir le mien. Je sentais combien vous deviez être affligé, et à quel point il est difficile de réparer de tels malheurs. Je vous plaignais en vous voyant rester presque seul de tout ce qui a contribué aux agréments de votre charmante jeunesse. Tout est passé, et on passe enfin soi-même pour aller trouver le néant, ou quelque chose qui n’a nul rapport avec nous, et qui est par conséquent le néant pour nous.

Je souhaite passionnément que les affaires et les plaisirs vous distraient longtemps.

La bonté avec laquelle vous vous êtes occupé de la Crète[2] a été pour vous un moment de diversion. Vos réflexions sont très-justes ; et quoique cet ouvrage ait beaucoup plus de rapport à la Pologne qu’à la France, cependant il est très-aisé d’y trouver des allusions à nos anciens parlements et à nos affaires présentes. Il ne faut pas laisser le moindre prétexte à ces allégories désagréables, et c’est à quoi j’ai travaillé, à la réception de la belle lettre dont vous m’avez honoré. Il y a même beaucoup encore à faire dans le dialogue et dans la versification, pour que la pièce soit

  1. Voyez page 35.
  2. C’est en Crète qu’est la scène des Lois de Minos.