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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/132

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CORRESPONDANCE.

digne d’être protégée par monseigneur le maréchal de Richelieu.

Notre doyen sait de quelle difficulté il est d’écrire à la fois raisonnablement et avec chaleur, de ne pas dire un mot inutile, de mêler l’harmonie à la force, d’être aussi exact en vers qu’on le serait dans la prose la plus châtiée. On peut remplir ces devoirs dans cinq ou six vers ; mais il n’a été donné qu’à Jean Racine d’en faire des centaines de suite qui approchent de la perfection ; tout le reste est plein de boue, et les fautes fourmillent au milieu des beautés.

Il ne faut pourtant pas se décourager. Il faut qu’à mon âge je tâche de faire voir qu’il y a encore des ressources, et que ceux qui sont nés lorsque Racine et Boileau vivaient encore, lorsque Louis XIV tenait encore sa brillante cour, lorsque madame la dauphine de Bourgogne commençait à donner les plus grandes espérances, lorsque la France donnait le ton à toutes les nations d’Europe, conservent encore quelques étincelles de ce feu qui nous animait.

Je vous demande en grâce de ne pas laisser sortir de vos mains ma pauvre Crète, jusqu’à ce que j’aie épuisé tout mon savoir-faire.

Pour vous parler des prisonniers français[1] qui se sont beaucoup plus signalés que les Crétois, je vous dirai que je me flatte toujours qu’ils seront reçus magnifiquement à Pétersbourg, qu’on y étalera toute la pompe de la puissance, tout l’éclat de la victoire, et toute la galanterie d’une femme de beaucoup d’esprit. On ne peut mieux réparer la petite fredaine dont vous parlez, et vous m’avouerez que cette fredaine a produit les plus grandes choses. Si vous étiez encore au mois d’auguste dans votre royaume, je vous supplierais de vous y faire donner les Crétois bien corrigés. Le vieux malade aura l’honneur de vous en dire davantage une autre fois ; il est à vos pieds avec le plus tendre respect.

8371. — À M. L’ABBÉ DU VERNET.
À Ferney, juillet.

Il y a, monsieur, trop de miracles et trop de vers dans ce monde ; mais il n’y a jamais trop d’une prose aussi agréable que la vôtre. Le solitaire octogénaire vous prie, monsieur, de lui faire avoir l’Épître de Boileau[2], dont on lui a tant parlé et qu’il

  1. Faits en Pologne.
  2. Voyez lettre 8530.