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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/249

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année 1772.

ouvrages économiques éclairent nos régions ignorantes sur les premiers besoins de la nature.

Je ne connais point de traités signés à Potsdam ou à Berlin. Je sais qu’il s’en est fait à Pétersbourg[1]. Ainsi le public, trompé par les gazetiers, fait souvent honneur aux personnes de choses auxquelles elles n’ont pas eu la moindre part. J’ai entendu dire de même que l’impératrice de Russie avait été mécontente de la manière dont le comte Orlof avait conduit la négociation de Fokschani. Il peut y avoir eu quelque refroidissement, mais je n’ai point appris que la disgrâce fut complète. On ment d’une maison à l’autre, à plus forte raison de faux bruits peuvent-ils se répandre et s’accroître quand ils passent de bouche en bouche depuis Pétersbourg jusqu’à Ferney. Vous savez mieux que personne que le mensonge fait plus de chemin que la vérité.

En attendant, le Grand Turc devient plus docile. Les conférences ont été entamées de nouveau ce qui me fait croire que la paix se fera. Si le contraire arrive, il est probable que M. Moustapha ne séjournera plus longtemps en Europe. Tout cela dépend d’un nombre de causes secondes, obscures, et impénétrables, des insinuations guerrières de certaines cours, du corps des ulémas, du caprice d’un grand vizir, de la morgue des négociateurs : et voilà comme le monde va. Il ne se gouverne que par compère et commère. Quelquefois, quand on a assez de données, on devine l’avenir ; souvent on s’y trompe.

Mais en quoi je ne m’abuserai pas, c’est en vous pronostiquant les suffrages de la postérité la plus reculée. Il n’y a rien de fortuit en cette prophétie. Elle se fonde sur vos ouvrages, égaux et quelquefois supérieurs à ceux des auteurs anciens qui jouissent encore de toute leur gloire. Vous avez le brevet d’immortalité en poche : avec cela il est doux de jouir et de se soutenir dans la même force, malgré les injures du temps et la caducité de l’âge. Faites-moi donc le plaisir de vivre tant que je serai dans le monde : je sens que j’ai besoin de vous, et, ne pouvant vous entretenir, il est encore bien agréable de vous lire. Le philosophe de Sans-Souci vous salue !

Fédéric.
8703. — À M. LE CHEVALIER DE CHASTELLUX.
À Ferney, 7 décembre.

Monsieur, la première fois que je lus la Félicité publique[2], je fus frappé d’une lumière qui éclairait mes yeux, et qui devait brûler ceux des sots et des fanatiques ; mais je ne savais d’où venait cette lumière. J’ai su depuis que je l’aurais aisément

  1. Le 5 août 1772.
  2. De la Félicité publique, par le chevalier, depuis marquis de Chastellux ; voyez tome XXIX, page 312 ; et tome XXX, page 387, le troisième des Articles extraits du Journal de politique et de littérature.