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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/269

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année 1772.

Tu fais soupirer tous les cœurs,
Tu fais tourner toutes les têtes ;
Tu joins au prestige de l’art
Le charme heureux de la nature,
Et la victoire toujours sûre
Se range sous ton étendard.
Es-tu Didon, es-tu Monime,
Avec toi nous versons des pleurs ;
Nous gémissons de tes malheurs,
Et du sort cruel qui t’opprime.
L’art d’attendrir et de charmer
À paré ta brillante aurore ;
Mais ton cœur est fait pour aimer,
Et ce cœur n’a rien dit encore.
Défends ce cœur des vains désirs
De richesse et de renommée ;
L’amour seul donne les plaisirs,
Et le plaisir est d’être aimée.
Déjà l’amour brille en tes yeux ;
Il naîtra bientôt dans ton âme :
Bientôt un mortel amoureux
Te fera partager sa flamme.
Heureux, trop heureux cet amant
Pour qui ton cœur deviendra tendre,
Si tu goûtes le sentiment
Comme tu sais si bien le rendre !

Voilà, mademoiselle, le tribut que vous offre ma muse : un bon vieillard, dont l’âge s’écrit par quatre et par vingt, n’a que de mauvais vers à vous présenter. Il y avait longtemps que je n’avais ressenti au spectacle les douces émotions que vous inspirez si bien ; je me ressouvenais à peine d’avoir versé des larmes de sentiment : en un mot, j’étais le vieil Éson, et vous êtes l’enchanteresse Médée. Je ne vous répéterai pas tous les éloges que vous méritez ; ils sont gravés dans mon esprit et dans mon cœur. Quand on réunit, comme vous, tous les suffrages, ceux d’un particulier deviennent moins flatteurs ; mais, à mon âge, on entre dans la classe des hommes rares. Si j’étais à vingt ans, si j’avais un corps, une fortune, et surtout un cœur digne de vous, vous

    à Nancy en 1756, filleule de Mme de Graffigny, débuta au Théâtre-Français le 23 septembre 1772, et mourut le 15 janvier 1815. Cette lettre a été imprimée, pour la première fois, dans le Journal encyclopédique d’avril 1773, page 291. Voltaire l’avait écrite pour détruire l’effet d’une lettre qui fut lue indiscrètement devant Mlle Raucourt ; voyez No 8774.